Un spectre enchante le monde : le tourisme. Arpenter la planète pour en tirer des selfies au risque de la dévaster est devenu un droit de l’homme. Pour apaiser nos consciences, des écolos technos imaginent réconcilier nature et tourisme en transformant une partie de nos campagnes en réserves naturelles payantes. De Versailles à la Lozère, rien ne nous sera épargné…
C’est la nouvelle frontière de l’espèce, peut-être la seule religion planétaire capable de tenir tête à l’écologie. Un projet global qui réconcilie riches et pauvres, gouvernants et gouvernés. Une proposition que nul ne saurait refuser. Cent soixante-dix ans après Marx, on peut dire qu’un spectre enchante le monde : le spectre du tourisme. Il faut être en effet bien grincheux pour ne pas s’en réjouir. Après avoir mesuré le rayonnement d’une nation à l’aune de ses victoires militaires, de sa production artistique, ou encore de ses réalisations technologiques, nous le comptons désormais en nombre de touristes attirés et en profits engrangés sur nos terrasses.
Submersion touristique
Que l’on ne croie pas que ce monstre enfanté par la démocratisation de la consommation serait l’apanage de l’Occident. De Pékin à Riyad, de Kuala Lumpur à La Havane, des fonctionnaires se creusent le citron pour rendre attractives, accessibles et rentables, en un mot pour « valoriser », les merveilles créées par le génie humain ou divin, désormais répertoriées en tant que sites, tandis que le tour-opérateur chinois qui peut vous amener un troupeau de 500 têtes classes-moyennisées aux Galeries Lafayette et à la boutique de souvenirs du Louvre est courtisé avec passion par les ambassadeurs de la « destination France ». Si le tourisme est passé, sous Laurent Fabius, dans le giron du Quai d’Orsay, cela doit signifier qu’il fait désormais partie des attributs régaliens. Philippe Muray le savait, Homo festivus (dernier avatar, et pas le plus reluisant, de l’évolution humaine, né de son esprit facétieux [tooltips content= ». Avant que celui-ci n’engendre à son tour Festivus festivus. »](1)[/tooltips]) a troqué l’uniforme de soldat de son ancêtre contre un bermuda : « On conçoit assez bien que le service militaire, du moins dans notre pays, ait pu être supprimé avec tant de facilité et en suscitant si peu d’émotion : il n’avait plus de sens depuis longtemps, et le principe de la levée en masse, celui de la nation en armes et celui de la mobilisation générale s’étaient précisément transfusés dans le tourisme, devenu puissance et domination, force de frappe et armée de réserve. Le service militaire, dans ces conditions, faisait double emploi [tooltips content= » Veaux, vaches cochons touristes, Après l’Histoire. »](2)[/tooltips]. » La submersion touristique n’est pas le fruit de la curiosité humaine, elle est dûment organisée par une industrie florissante avec le concours de gouvernements et d’institutions internationales. Chaque pays – et à l’intérieur de chaque pays, chaque région voire chaque village – s’efforce donc de décrocher le pompon dans la compétition mondiale en attirant le chaland-touriste – car bien entendu, il s’agit de vendre et c’est moins la différence culturelle du visiteur que son « panier moyen » qui nous émoustille. C’est ainsi que le comité interministériel chargé de définir une stratégie pour le câliner a décidé d’abaisser le seuil et de relever le plafond de la détaxe. C’est dire si la France se fait belle pour ses admirateurs. Ou
