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Vacances, j’oublie rien!

D’un confiné berrichon à la patrie de Pascal Paoli


Vacances, j’oublie rien!
Notre-Dame de la Serra, sur les hauteurs de Calvi, en Corse © Richard Sowersby/Shutte/SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40659785_000067

D’un confiné berrichon à la patrie de Pascal Paoli


Mais me reviendras-tu Corsica dans le jour qui se lève ? J’ai toujours voulu associer les paroles d’une chanson de Barbara à celles de Tino Rossi dans l’attaque d’une chronique. Il m’aura fallu attendre l’âge de quarante-cinq ans et un Covid-19 pour y parvenir. Le confinement aura exaucé, au moins, ce désir de mêler Marienbad au rossignol ajaccien, la louve noire et le petit papa noël aux cheveux gominés sous le soleil de Bobino, ces deux-là avaient les cabarets de la rive gauche en héritage. 

Quand reverrons-nous les paillottes corses, mes malheureux amis ?

Derrière la jointure de ces vers, se cache une réelle inquiétude, celle de ne plus jamais boire une liqueur de myrte aux vertus digestives et apaisantes. Mes étés n’auront plus jamais le même goût. La mâche soyeuse du figatellu grillé au barbecue et la suavité du brocciu en dessert vont me manquer. Cette nuit, dans ma campagne berrichonne, j’ai fait le rêve impossible et pénétrant de prendre un vol en direction de la citadelle de Calvi. Je me voyais tangué au-dessus de l’aéroport Sainte-Catherine, balayé par les vents nerveux et saisi par l’effet entonnoir qui surprend toujours les premières fois lors des atterrissages virils mais toujours corrects. Tout en bas, la piste malingre, coincée dans cette cuvette, m’a toujours paru trop courte pour un avion moyen-courrier. La montagne en face, la mer dans le dos et au moment de descendre, plus du tout l’envie de compter les tours génoises disséminées dans le Golfe, juste prier Notre-Dame-de-la-Serra pour fouler enfin cette île de beauté. La Corse se mérite, elle ne s’offre pas au premier touriste qui aspire au farniente et au parasol. Ici, l’huile solaire n’empeste pas les vapeurs d’essence et le bruit du marteau-piqueur ne couvre pas encore le cri du milan royal. L’insularité a conservé certes une certaine âpreté dans les rapports humains ce qui nous change des salamalecs habituels des stations balnéaires. La distance, cette vieille politesse montagnarde, a du bon, elle aura même de l’avenir vu les circonstances sanitaires actuelles. Sur place, on n’a pas le sentiment d’être un portefeuille sur pattes, assailli, contraint à la dépense. C’est reposant. Le commerçant ne tend pas la sébile comme dans d’autres lieux touristiques du bassin méditerranéen. Dans le Nord, plaque 2B au cul du pick-up, la nature s’y exprime encore librement sans les appétits immobiliers voraces, si difficiles à contenir, la population veille, elle a toujours veillé. Elle ne s’est jamais laissée amadouer par les beaux discours de la capitale. La vigilance n’est pas un méchant mot dans la patrie de Pascal Paoli. Une seule question se pose : quand pourrons-nous revenir en Corse ? En août ? À l’automne ? Plus tard encore ? Les autorisations de se déplacer en France seront-elles allégées d’ici à trois mois ? Personne ne peut aujourd’hui le promettre avec certitude, la précaution semble de mise dans les ministères. 

Il nous reste la consultation du Guide Vert…

Tant que l’exténuante présentation Powerpoint, cette dérive managériale qui fait sourire les collaborateurs des entreprises privées, fera office de politique publique, des inquiétudes persisteront. Quid des plages et des paillottes ? Des campings et des écoles de plongée ? Des bars et des hôtels ? Dans un demi-sommeil, je me suis souvenu d’un plat de « Linguine au ragout de calamar et chorizo » préparé par le chef de A Pasturella sur la placette de Monticello, ce village cher à l’homme au cigare et aux lunettes noires. Dutronc et ses chats prennent aux beaux jours des reflets de Madone. On les visitera bientôt comme on randonne sur le sentier du GR20. Et puis, j’ai pensé à ma paroisse, celle des auteurs qui trouvent dans le voyage, un substrat à la création et l’occasion de brûler un à-valoir durement conquis. Que faites-vous de l’œuvre de Michel Déon sans la Grèce ? « Chaque nation, chaque famille, chaque individu vit sur une mythologie qui colore son existence » écrivait Jean d’Ormesson dans Au plaisir de dieu (Folio/1243). Sa mythologie à lui, c’était le château de Saint-Fargeau, à quelques kilomètres de chez moi. Ce que je préfère chez Jean d’O, c’est son autre thébaïde, le port de Saint-Florent à l’embouchure de l’Aliso. Le meilleur de son œuvre réside dans ses photos de vacances prises pour Paris Match, dans sa plénitude bronzée. Chaque année, il nous envoyait une carte postale de son Saint-Tropez balanin. Par son dilettantisme classieux, il vengeait tous les besogneux de l’écrit que nous sommes. Grâce à lui, nous savions qu’il existait dans le royaume de l’édition, un roi paisible qui prenait ses quartiers d’été en Corse et abandonnait son cabriolet Mercedes dans un garage de l’Institut. Il était notre phare. 

En me réveillant, j’ai repris mon vieux Guide Vert pour relire cette introduction : « La Balagne est une enclave de collines fertiles au Nord-Ouest d’une île montagneuse et rude ». Ulysse peut aller se rhabiller avec son cabotage initiatique. Je prends l’engagement devant vous que je reviendrai à Feliceto, Lozari, Ostriconi et à L’Île-Rousse dans un grand Boeing bleu de mer. Mais quand ?

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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