“Partir quand même”. Pourquoi partir. Elle n’a jamais été d’ici, de là. Mais d’ailleurs. Trop belle, trop classe, aérienne dans ses Repettos qui n’ont jamais touché terre. Bulle de talent, bulle de pudeur, bulle de champagne en apesanteur. Toute la mélancolie d’un long dimanche d’automne s’est dissoute dans ses mots. Et “dix sous” c’est pas cher pour une œuvre de 60 ans. Des textes ciselés à la fièvre d’une passion qui se consume, au poison lent de l’attente qui ronge, à l’ennui projeté sur les quatre murs de la solitude. Pour plomber, elle plombe. Mais c’est beau. Et à l’arrivée, ça fait du bien.
Dotée d’une photogénie à vous envoyer plier le capot sur un platane, dès ses 20 ans Françoise Hardy plie sous la mitraille de son compagnon, un photographe surdoué, Jean-Marie Périer. Surdoué, privilégié et chanceux. Sa muse imprime la pellicule sans la toucher, maquillée ou pas, posée ou pas, naturelle ou sophistiquée. Un pull col en V sur les épaules, sapée comme une calandre de Rolls par Paco Rabanne, pastellisée en aquarelle de chez Courrèges, peu importe, elle est à tomber. Un peu comme sa prose qui croise dans la profondeur des sentiments la simplicité et la haute-couture.
Miss Hardy est ma voisine en Corse. Enfant, j’accompagne mon père chez François le boucher. Ma boutique préférée, où mes yeux sortent de l’étui sur le persillé d’une entrecôte, le gras d’une côte. Là, mon père discute avec la voisine, perchée comme une Tour de Pise. Mon regard grimpe les étages d’un échafaudage instable pour bloquer sur la grâce de son visage. François le boucher, qui régulièrement délaissait la chambre froide, pour suivre, avec d’autres phénomènes du village, Dutronc sur un tournage ou en tournée. Il revenait régulièrement sur les jantes, et pour se refaire, faisait passer le faux-filet au prix de la langouste. Dutronc-Hardy, la cavale classieuse en commun, par la dérision ou la discrétion, au maquis comme à la scène. Ils traversent la vie sans vieillir, dans la douleur comme tout un chacun, mais sans vieillir. Et comme les chats ne font pas des rats, Thomas l’alliage Nord-Sud de la glace et du feu, perpétue le talent et l’élégance de la maison.
Françoise Hardy souffre. Que ces mots d’un fan souvent conquis jamais soumis, lui parviennent.
Pâle et létale
Balle en acier de chez Courrèges
Peau d’albâtre d’une feuille de solfège,
Filet de voix en bas de soie
En première classe ça va de soi
Lumière blême au bout du tunnel
Plus on avance, on ne voit qu’elle,
Tombée du ciel d’une aquarelle,
Pâle en pastel, Dieu qu’elle est belle
Des malheurs posés sur l’enclume
Sont des munitions pour sa plume,
L’humeur des foins, chronique d’un rhume,
Kleenex jeté sans amertume
Myope au volant d’une Cadillac,
La route sans un verre de contact,
Moral en sucre, le cœur en vrac,
De son best of sortir intact
De sa hauteur, de sa nacelle,
Elle vous pose une couronne d’épines,
Sa signature sur la rétine
Un vague à l’âme dans l’escarcelle
D’une misère elle fait un missel,
Pose sur la plaie son grain de sel
Tueuse à gage, au pic à glace,
Sa lame de rasoir fend l’espace
Son cœur est pris, est mis en plis,
Par un capitaine au long cours,
Pirate des ports, des fumeries,
Tête mise à prix à son retour
Dans le bourdon, chasser l’ennui,
Mélancolie des jours de pluie,
Nuances de gris des oiseaux de nuit,
Hôtesse du silence au paradis,
Sous l’abat-jour passe à crédit
Un laser de Françoise Hardy
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