Le magazine Usbek & Rica entend « explorer le futur ». En dialoguant avec deux de ses responsables, Blaise Mao et Mathieu Brand, on entrevoit un XXIe siècle hésitant entre tentation technophobe et tyrannie des machines.
Causeur. À l’origine, les réseaux sociaux étaient porteurs d’une promesse : favoriser les échanges. Or, les débats y semblent aujourd’hui de plus en plus rugueux. Comme si on assistait à des sortes de guerres de tranchées numériques. Avoir été bloqué par telle ou telle personnalité est même arboré fièrement comme une médaille.
Blaise Mao et Mathieu Brand. La réponse simpliste à cette question consisterait à dire que les réseaux sociaux ne sont qu’un grand défouloir. C’est un peu plus compliqué. Tout le monde ne se transforme pas en monstre derrière son écran, mais certains biais techniques peuvent le laisser croire. L’algorithme de Facebook, par exemple, peut donner ce sentiment car il fait remonter à la surface les commentaires les plus virulents. Tout simplement parce que ces derniers suscitent des réponses d’internautes qui, en retour, vont parfois eux aussi se montrer outranciers. À l’inverse, un post ou un commentaire nuancé, même s’il reçoit l’approbation des lecteurs, se verra beaucoup moins car il n’engendrera pas ou peu d’interactions.
Facebook ne veut plus seulement savoir si l’on apprécie tel ou tel artiste ou si l’on suit tel média, mais aussi ce qui nous choque ou nous fait rire.
C’est certain : la manière dont les réseaux sont pensés et conçus influe sur la qualité du débat d’idées. Prenons les émoticons. Sous prétexte d’exprimer nos émotions, ils les limitent à quelques-unes : on aime ou on déteste, on rit ou on pleure, on loue ou on lynche. Comme si l’homme connecté était renvoyé aux émotions les plus binaires, à sa part la plus « animale ».
Facebook a tout de même complexifié les choses. Le « je n’aime pas » a d’ailleurs été supprimé, histoire de dire : « Il n’y a pas de pensée négative chez nous. » Désormais, il y a même six types de réactions possibles du « j’adore » au « grrr » signifiant la colère. Mais cette volonté de dépasser le stade binaire est un moyen de faire un profilage toujours plus précis de notre consommation d’informations. Facebook ne veut plus seulement savoir si l’on apprécie tel ou tel artiste ou si l’on suit tel média, mais aussi ce qui nous choque ou nous fait rire.
Cependant, plusieurs « repentis » de la Silicon Valley, notamment des designers qui ont travaillé chez Google ou Facebook, reconnaissent aujourd’hui être allés trop loin, notamment dans la façon dont ils ont pu concevoir des technologies et des applications destinées à capter notre attention. On assiste ainsi à l’émergence d’une réflexion sur le sujet baptisée « ethics by design ». James Williams, un ex-designer de chez Google, prêche par exemple pour des technologies moins accaparantes. Il y a aussi cet ancien cadre
