Au diapason de toute la gauche, notre souverainiste national, le vigilant Nicolas-« Vent Debout »-Aignan, s’est insurgé sur Twitter contre le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Le mécréant a osé traiter la France de vilaine « réactionnaire » (insulte suprême dans la bouche d’un néolibéral), à cause de sa volonté de maintenir l’exception culturelle dans le cadre de l’accord de libre-échange transatlantique. « Être qualifié de réactionnaire par M. Barroso qui est un vendu est un honneur pour la France ! » a vibré le président de Debout la République. S’il est toujours bon de saluer les élans gaullo-malruciens, intéressons-nous à ce qui se cache derrière ces cocoricos soulagés (après la mise sous cloche de l’exception culturelle) puis mortifiés (par les insultes de Manolo): que sont concrètement ces accords de libre-échange transatlantiques ?
Il y a en effet matière à s’inquiéter, voire à s’indigner pour ceux qui aiment ça- ou qui ne savent pas faire autrement – car cet accord de libre-échange, désigné par ses artisans comme le « plus important contrat commercial bilatéral jamais négocié« , et qui concerne un tiers du commerce mondial, risque fort d’être un pas de plus vers la dérégulation et le capitalisme illimité qui menacent déjà la survie de l’industrie européenne.
La faiblesse des droits de douane étant acquise depuis longtemps (moyenne de 5.2% pour l’Union européenne et 3,5% pour les Etats-Unis), le contrat de mariage portera en réalité sur l’harmonisation des réglementations et la suppression des « obstacles non quantitatifs » à la libre circulation. En clair, il s’agit d’aligner les normes européennes, jugées trop contraignantes, sur les normes américaines – beaucoup plus « pures et parfaites ». Les normes environnementales, sanitaires et les standards de sécurité seront américanisés, pour pouvoir ouvrir le marché intérieur de l’UE à des produits autrefois interdits.
Si tout fonctionne comme Oncle Sam l’a prévu, la liberté de marché permettra au consommateur européen de goûter aux joies du bœuf aux hormones ou du poulet à la chlorine, tandis que la PAC, archaïsme protectionniste qui fausse la concurrence sera abolie, et qu’outre-Atlantique on pourra consommer du parmesan texan ou du camembert californien (les normes d’origine géographiques étant dans le viseur des Etats-Unis). Voilà donc les « perspectives fantastiques » dont parle Jean-François Copé !
Mais alors, qu’avons-nous à gagner dans ce tope-là-ça-roule avec les Yankees ?
D’abord, nous argue-t-on, des gains économiques: la Commission estime qu’une libéralisation totale des échanges permettra de dégager un surplus de croissance pour l’Union de 0,5% du PIB.
Ensuite, un objectif « idéologique » : d’après Bruce Stokes, du German Marshall Fund of the United States, il s’agit de « S’assurer que le capitalisme version occidentale reste la norme mondiale et pas le capitalisme d’Etat chinois », bref d’assurer l’hégémonie globale du dogme libre-échangiste contre les velléités colbertistes de l’empire du Milieu. Toute forme d’économie dirigée ou de capitalisme régulé étant autant d’obstacles à l’extension du Far-West global.
D’après les experts de Bruxelles et de la Maison Blanche, pour sortir le monde occidental de la crise, il suffit donc de sauter sur son transat comme un cabri en disant « Libre-échange ! Libre échange ! »
Et puis… et puis c’est tout. On a beau chercher, on a du mal à comprendre ce que l’Europe et la France vont gagner dans ce pacte qui ressemble fort, comme l’écrit Jean Quatremer à un accord « gagnant-perdant » ( comme quoi le représentant de Libé à Bruxelles- à moins que ce soit l’inverse – ne peut pas se tromper sur tout tout le temps).
On a plutôt l’impression que les Etats-Unis profitent de la faiblesse de l’Europe, dévorée par les politiques austéritaires et la crise de l’euro pour standardiser le Vieux Continent et agrandir leur marché, tout en sachant très bien qu’à ce petit jeu, l’Europe et ses « préférences collectives » trop protectrices ne pourront pas suivre. Il n’y a qu’en perfide Albion qu’on se réjouit dans les grands médias de ce saut atlantiste qui permettrait de sauver l’Europe en peine. Pour expliquer cette inexplicable reddition, les mauvaises langues susurrent que Barroso la jouerait perso : il viserait après son mandat à la Commission qui s’achève le secrétariat général de l’ONU ou celui de l’OTAN, poste dont l’attribution se décide en grande partie dans le bureau ovale…
D’aucuns pourront encore espérer que le mandat que donnent demain les ministres européens à la Commission saura tracer les contours d’un cadre efficace pour protéger, faute de mieux, l’industrie européenne, les services publics, le domaine de la défense et l’agro-alimentaire.
D’autres, comme moi, se contenterons de paraphraser ce bon vieux Churchill : entre l’Europe et le Grand large, nous choisirons… ni l’un ni l’autre.
*Photo: Dennoir.
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