Une chance déshonnête semble protéger Ursula von der Leyen de ses impairs et la pousse dans les plus hautes sphères du pouvoir en dépit de son parcours déficient.
On ne connaissait pas grand-chose d’elle avant que la guerre en Ukraine n’éclate. L’arrivée de ce petit bout de femme au sourire discret à la tête de la Commission européenne au moment même où Christine Lagarde débarquait à la Banque centrale européenne ressemblait fort à un arrangement franco-allemand pour garder le contrôle sur la politique de Bruxelles. Quand une autre « guerre » a commencé, sanitaire celle-là, Ursula von der Leyen est restée parfaitement en retrait, laissant à Emmanuel Macron et Angela Merkel toute leur la place, notamment pour négocier le plan de relance à 750 milliards d’euro pour les pays de l’UE. La seule fois que la présidente de la Commission européenne a fait parler d’elle, ce fut là l’occasion du fameux scandale de «sofagate», lorsque durant sa visite en Turquie en avril 2021 le puissant président turc Recep Tayyip Erdogan l’a contrainte à s’asseoir sur un canapé, laissant les deux fauteuils de son luxueux cabinet à lui-même et au chef du Conseil européen, Charles Michel. Et puis, une fois les violentes vagues de la pandémie passées, la presse a révélé une autre affaire concernant madame Von der Leyen ; l’affaire des SMS, ceux que la responsable politique échangea secrètement avec le patron de Pfizer Albert Burla, au moment même où Bruxelles négociait avec les géants pharmaceutiques les conditions de livraison des vaccins aux pays européens. Malgré les demandes insistantes de la médiatrice de l’Union européenne Emilie O’Reily, qui a ouvert l’enquête sur le sujet, et celles des journalistes, le contenu de ces textos n’a jamais été révélé et ce, sous prétexte que les messages n’avaient pas été conservés. C’est ainsi que fonctionne le plus haut appareil administratif du pouvoir européen. Quand on pense au sort réservé à l’ancien président américain Donald Trump suite aux fuites dans la presse de sa conversation téléphonique avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelenski (procédure de l’impeachment), ou encore aux récentes fouilles des archives présidentielles du même Trump à son domicile en Floride, on peut dire qu’Ursula, elle, est bénie. Surtout que la femme politique allemande avait déjà utilisé la technique de l’effacement des traces écrites à son départ du ministère de la Défense en 2019. Quant à Pfizer, on connaît la réussite de son vaccin en Europe : 70% des parts du marché, des résultats records de 81,3 milliards de dollars de chiffre d’affaire en 2021.
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Par ailleurs, le lien de proximité avec l’entreprise pharmaceutique américaine n’est pas le seul point d’attache de von der Leyen avec le plus puissant pays du monde. C’est aussi et d’abord l’histoire familiale. L’arrière-grand-père paternel de l’actuelle patronne de l’Europe, Carl Albrecht, s’était marié avec Mary Ladson Robertson, issue de d’une riche famille de sudistes, propriétaires d’esclaves et de plantations en Caroline du Sud. Une parfaite alliance de deux aristocraties, « obstinément convaincues de leur droit à gouverner », comme le rappelle, citant Thomas Mann, l’écrivain anglais Ben Judah dans son papier consacré à notre héroïne.
A ses racines américaines, elle tient beaucoup ; ainsi, pendant ses études à Londres elle est Rose Ladson, nom de jeune fille de son arrière-grand-mère. La légende veut que c’était pour cacher son identité de fille d’Ernest Albrecht, homme politique et membre du parti chrétien-démocrate ; et l’on se rappelle que dans les années 70, la droite allemande dut faire face aux groupuscules d’extrême gauche du pays qui souvent pratiquaient le kidnapping. Ensuite, Ursula passe quatre ans aux États-Unis, cette fois en tant que femme de son mari qui enseigne à l’université de Stanford, et mère d’une famille nombreuse. Le couple a sept enfants. C’est d’ailleurs à son retour d’Amérique que von der Leyen, diplômée en gynécologie, décide de se lancer en politique, dans le fief de son papa en Basse-Saxe d’abord. Puis, elle intègre le premier gouvernement de Merkel en 2005 qu’elle ne quittera plus jusqu’à sa nomination à son poste actuel en 2019.
Ursula von der Leyen est arrivée aux responsabilités suprêmes de l’Union européenne avec la réputation d’un des ministres les moins compétents selon les enquêtes d’opinion de son pays, et chargée d’un passif de plusieurs affaires médiatiques dont elle s’est toujours sortie indemne. La suppression des SMS de son téléphone de ministre de la Défense allemand lui a permis d’échapper au scandale autour des consultants externes que son cabinet avait généreusement sollicités sans respecter les procédures d’appels d’offres : 200 millions d’euros en une seule année entre 2015 et 2016. D’autre part, lorsque quelques années auparavant, le site VroniPlag Wiki l’avait accusée de plagiat dans la rédaction de sa thèse de médecine lors de ses études universitaires, il n’y eut pas davantage de conséquences. Et pourtant, une bonne moitié de son œuvre de soixante deux pages avait été empruntée sans mentionner les sources. Dans un pays où les titres et les distinctions sont sacrés, des affaires pareilles poussent à la démission, pratiquement au même moment, trois autres ministres allemands.
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Même issue quand la presse allemande découvre, citant la porte-parole de l’université de Stanford, que la femme politique n’a jamais suivi de programme dans ce prestigieux établissement, ce que pourtant revendique son CV. Elle se justifie en disant avoir utilisé le terme « auditeur libre » conformément à la définition de ce mot par Wikipédia allemand. Cela a suffi pour calmer ses détracteurs. Ursula est décidément bénie.
C’est donc une personnalité politique au parcours médiocre et aux pratiques troublantes qui est tombée dans les bras du président ukrainien quelques jours après le début de l’agression russe contre l’Ukraine. Qui s’est présentée comme chef de file européen de la lutte contre le machiavélique leader russe Vladimir Poutine. Qui a agi au nom de 450 millions d’habitants du continent plongés huit mois plus tard dans la plus grave crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Qui a signé, toujours au nom de l’Europe, des accords stratégiques avec Joe Biden comme ceux sur le transfert des données numériques ou le gaz de schiste américain ; provoquant ainsi un énième tollé de l’opinion publique à son égard. « Mais pour qui roule von der Leyen ? » a titré La Tribune, le 10 octobre 2022. Les gouvernements des pays d’Europe, impuissants face au nouveau contexte géopolitique, tombent les uns après les autres. La présidente de la Commission européenne, cette femme politique au sourire discret et aux innombrables scandales médiatiques, ignore, quant à elle, les soucis d’une pression électorale. Il n’y a pas à dire : Ursula est bénie par la grâce dont elle seule connaît le secret
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