Derrière les menaces de mort contre Laurence Marchand-Taillade


Derrière les menaces de mort contre Laurence Marchand-Taillade
Dans les allées du rassemblement (Photo : SIPA.00742028_000009)
Dans les allées du rassemblement organisé par l'UOIF début février (Photo : SIPA.00742028_000009)

La présidente de l’Observatoire de la laïcité du Val d’Oise Laurence Marchand-Taillade, a été menacée de mort après avoir dénoncé la tenue d’un rassemblement de l’UOIF, dont on connaît les accointances avec les Frères musulmans et en présence du putatif leader d’un prochain parti islamique de France, Tariq Ramadan. Après les attaques contre les juifs depuis 2000 environ, les menaces de morts contre Charlie et l’exécution de ces menaces, puis les attentats du Bataclan, une nouvelle étape a ainsi été franchie dans la montée en puissance de la terreur islamiste dans notre pays.

D’abord à partir des années 2000, l’intégrisme islamique s’en est pris aux Français juifs qui jouissaient  jusqu’alors pleinement de leur appartenance à la nation française et de la protection dont peuvent se prévaloir tous les citoyens. La pression agressive que l’islamisme en France a fait peser sur eux, en toute impunité puisque l’origine du mal n’a jamais été mentionnée par nos dirigeants, a de facto scindée notre nation en deux. Ceux qui bénéficiaient de la protection de notre pays et ceux dont cette protection n’était plus totalement garantie dans les faits. Il s’agit donc d’une première dégradation infligée à notre pays, incapable de trouver en lui-même la volonté de défendre une partie de sa population dont la valeur symbolique est cependant très grande de par le pacte bicentenaire scellé entre la France, sa République et les juifs de notre pays. La France, première nation à leur reconnaître la pleine citoyenneté, tandis que ceux-ci  reconnaissaient et acceptaient pleinement leurs devoirs envers elle. Le symbole est d’autant plus fort que cette appartenance pleine et entière a donné à notre République, dès l’origine, un contenu concret au mot « Fraternité » de sa devise, ainsi que l’avait voulu Bonaparte, puis Napoléon. C’est cette Fraternité qui a été attaquée et mise à mal par les islamistes dans une presque totale   indifférence générale. Le symbole est également d’autant plus fort trois-quarts de siècle à peine après la trahison de Vichy, et alors que tout le monde avait dit « plus jamais ça ». Ainsi les Français juifs se retrouvèrent en première ligne dans l’affrontement que l’islam radical a déclenché contre notre pays. Tout en assouvissant leur passion hideuse antisémite, il s’agissait  de montrer que nous n’avons pas le courage de nos meilleures résolutions, que nous ne sommes pas à la hauteur de notre devise nationale, à la hauteur de notre histoire, que nous n’avons plus aucune valeur à défendre si ce n’est, chacun d’entre nous, sa propre vie, sa propre situation personnelle. Le contraire d’une nation rassemblée. Or, l’intégration du judaïsme à la France peut servir de modèle à l’intégration de l’islam à la France, et c’est ce modèle même que l’islamisme cherche à détruire.

Le déni commence à se dissiper mais…

Puis, l’islam radical s’en est pris à ceux qui s’expriment, par le dessin avec Charlie, le cinéma avec Theo van Gogh, sans compter tous ceux qui ont été menacés de mort, des écrivains, des philosophes. Michel Houellebecq, avant de publier son dernier livre, l’a fait relire par des experts en radicalisme islamique pour s’assurer que sa vie ne sera pas trop menacée. L’intimidation et la menace se sont ainsi portées sur les voix capables d’exprimer les réalités que nos politiques feignaient de ne pas voir. Le front s’est donc ainsi étendu sur le champ de la parole et de la culture. Les attentats du Bataclan l’ont étendu à la population toute entière. Le déni commence à se dissiper partiellement, les politiques ne pouvant pas passer ces attentats par pertes et profits comme cela a été le cas avec Charlie. Néanmoins, ils peinent à en tirer toutes les conclusions.

Que s’est-il passé pendant ces quinze dernières années ? L’islam intégriste et conquérant a étendu son emprise sur le terrain, dans les esprits, dans les communes, en faisant croître les territoires perdus de la République, en conquérant de nouveaux territoires où il peut de plus en plus faire régner sa loi, et non plus celle de notre pays. L’islam radical qui frappe, qui tue, n’est en effet que le bras armé plus ou moins contrôlé ou incontrôlable de l’intégrisme islamique qui mène lui l’offensive non pas à coup de kalachnikovs mais de grignotages constants de nos institutions. L’infiltration intégriste se voit dans les communes où des maires sans courage et complaisants, ou peut-être tout simplement se sentant abandonnés, louent temporairement la paix civile en cédant devant les exigences intégristes. Il y a l’exemple bien connu des piscines. Mais il y a aussi tous ces quartiers où les fonctions régaliennes sont déléguées aux pires ennemis de notre République, pour le plus grand malheur des populations qui y vivent livrées aux plus entreprenants des leaders intégristes. Cette infiltration se voit également dans les écoles où l’autorité des professeurs est battue en brèche et où les contenus enseignés sont décriés ouvertement, et dans certaines entreprises publiques où par facilité on recrute des personnels intégristes pour apaiser les extrémistes des « cités ». La montée de la violence islamiste s’est donc accompagnée du déclin de notre République, de nos institutions et du soutien qu’elles apportent à tous ceux qui les servent en première ligne : les enseignants, les policiers, les médecins, les infirmières, les conducteurs de bus, les agents de l’électricité, tous ceux qui sur le terrain témoignent de l’existence de notre Etat. Ce déclin, voire cette reddition dans les territoires de conquête de l’islamisme, a été accompagné par un déclin général dans toute la société des valeurs collectives et de la confiance en ces valeurs qui auraient pu soutenir la résistance.

Les mécanismes de la montée en puissance de l’intégrisme

Quels ont été les mécanismes principaux de la montée en puissance de l’intégrisme islamique dans nos villes ? Le contexte général est la montée mondiale de l’intégrisme islamique dans de nombreux pays à majorité ou à forte population musulmane, dont l’origine tient, au moins en partie, à l’idéologie wahhabite, au salafisme ou encore à celle des Frères musulmans qui se répandent par tout un réseau d’associations culturelles, de mosquées, de publications. L’état d’esprit de rejet de l’autre et de conquête qui en résulte chez les intégristes, n’a pas jusqu’alors rencontré la résistance nécessaire grâce à l’arme de la culpabilisation occidentale, à l’aide des complices de l’islamisme qui infusent la haine de soi depuis des décennies et à une grande lâcheté ou un grand désarroi de nos dirigeants. Pour ce qui est des menaces proférées à l’égard de Laurence Marchand-Taillade, on peut se demander si les dénis du président de l’Observatoire de la laïcité (dont l’Observatoire de la laïcité du Val d’Oise n’est pas une émanation, ndlr), Jean-Louis Bianco, n’ont pas été interprétés comme un encouragement par les fanatiques qui voient toute faiblesse comme un appel à l’action.

Mais toutes ces pistes ne suffisent pas à expliquer cette montée en puissance de l’intégrisme islamique. La notion de droits individuels qui tend à supplanter tout autre impératif collectif dans notre société a étendu le champ du droit au détriment du champ politique. C’est une tendance séculaire magistralement décrite par Jean-Claude Michéa dans un texte sur le libéralisme politique, de ses origines, à la fin des guerres de religions, jusqu’à aujourd’hui. Dès lors, il est de plus en plus difficile d’opposer des valeurs collectives à ce qui est présenté comme des revendications de droits individuels. Il suffit donc de présenter les revendications de l’islam politique comme étant de simples revendications de nouveaux droits individuels, tout en jouant sur toute une palette de sentiments que les intégristes musulmans connaissent parfaitement lorsqu’ils exercent leurs pressions sur nos édiles pour faire reculer le champ républicain, le champ national :  la culpabilité du représentant de la « puissance coloniale », la crainte de désordres éventuels que l’interlocuteur prétend pouvoir contrôler et calmer alors qu’il en est l’un des principaux organisateurs, le désir d’être réélu…

L’affaiblissement des élus

L’affaiblissement des élus et de tous les acteurs qui sont en première ligne est bien sûr aggravé par le discours général d’une partie des responsables politiques nationaux, de la presse parisienne et des radios et télévisions publiques et privées, ainsi que d’un grand nombre d’associations qu’elles relaient complaisamment. Certaines de ces associations dénigrent, dégradent, rabaissent tout ce que la France représente, toute prétention de sa part à une légitimité historique et politique et donc à représenter l’avenir. C’est le discours sur « la France rance ». Il devient dès lors de plus en plus difficile d’intégrer et d’assimiler à la nation des populations à qui l’on explique que leurs ancêtres ont été maltraités par une  France haineuse et dont les représentants d’aujourd’hui seraient les héritiers qui n’ont rien appris ni rien oublié. Les intégristes islamistes remplissent ainsi le champ politique abandonné par la France, et en repoussent progressivement les limites, en jouant donc sur la notion d’extension des droits individuels. Ce mouvement s’appuie sur l’habitude de notre société de toujours céder aux exigences de nouveaux droits individuels et sur la délégitimation de l’exigence du respect de valeurs collectives. Il s’appuie aussi sur le fait que le communautarisme tend, par construction, à amalgamer les individus à leur communauté supposée. Changer la règle pour une communauté donnée, dans l’esprit de certains de nos édiles, revient à donner des droits individuels à chacun de ses membres. Notre pays suit ainsi le chemin inverse qui avait été le sien lors de sa construction. La nation devient le cadre oppressif dont il faut se défaire pour recréer des communautés – des féodalités – émancipatrices de la nation.

Pendant longtemps, l’islamisme violent, celui qui commet des attentats, celui qui tue, et l’intégrisme islamique ont évolué dans une relative indépendance l’un de l’autre. D’abord parce que l’islamisme violent, le djihadisme, n’existait pas chez nous. La montée de l’antisémitisme depuis les années 2000, la progression du communautarisme et le recul de la République ne sont ainsi pas la conséquence du djihadisme, mais du travail de sape constant de l’intégrisme islamique, du progrès de son discours et des progrès de la force de son emprise sur un nombre croissant de personnes. L’émergence du djihadisme est beaucoup plus récente, et on peut la faire remonter à Merah, même s’il y a eu de lâches et odieux  assassinats aux motivations antisémites auparavant, dont Ilan Halimi.

Extension de l’islam comme force politique

Un objectif commun anime les intégristes musulmans et les djihadistes : l’extension de l’islam comme force politique supplantant la France républicaine, même si les méthodes sont différentes. Les discours des uns fournissent le substrat de la radicalisation des autres. Les djihadistes peuvent compter sur la complicité des intégristes, ou du moins de la partie la plus radicale d’entre eux, pour les cacher, les nourrir, les aider à mener une vie normale jusqu’au passage à l’acte, et leur fournir la logistique pour le faire. Sans cela, Salah Abdeslam aurait été arrêté depuis longtemps, alors que les polices belges et européennes continuent à le chercher. Il y a un continuum entre le simple rejet, la haine et la  radicalisation la plus extrémiste. Néanmoins, jusqu’alors, les deux phénomènes ont agi de manière relativement indépendante l’un de l’autre.

Les menaces de mort dont une femme politique du Val d’Oise (Laurence Marchand-Taillade est secrétaire nationale du PRG, ndlr) est la cible annonce la convergence de leurs actions. Celle-ci a dénoncé la tenue d’un rassemblement de l’UOIF en présence de Tariq Ramadan. On peut trouver en effet dans ces rassemblements de nombreux intégristes aux discours incompatibles avec nos valeurs nationales et républicaines. Ces menaces djihadistes contre Laurence Marchand-Taillade annoncent ainsi que le djihadisme vient en support direct de l’intégrisme, en intimidant et en menaçant de faire taire ses opposants de manière définitive. Dorénavant, les personnes qui s’opposeront légalement et démocratiquement aux entreprises antidémocratiques, antirépublicaines et antifrançaises des intégristes tels que les Frères musulmans, feront l’objet des mêmes menaces de mort de la part des djihadistes, dont on sait qu’elles peuvent effectivement être mises à l’exécution. Cela rend la lutte contre l’islamisme radical, ainsi que le renforcement de notre détermination à défendre nos valeurs et nos institutions d’autant plus nécessaires et urgents.



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Chercheur, diplômé de l'ENS.

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