Entre valeur des diplômes et justice sociale, nous observons un jeu d’équilibriste compliqué pour les universitaires, avec des recours qui vont jusqu’au Conseil d’Etat! Selon notre chroniqueuse, étudiante elle-même, l’annulation des notes inférieures à la moyenne n’est pas le scandale dénoncé. C’est au contraire tout à fait nécessaire pour nombre d’étudiants
En raison de la Covid-19, faut-il supprimer, pour le deuxième semestre de l’année universitaire en cours, les notes inférieures à 10 – et, ainsi, « donner » le semestre aux étudiants ? Voici un débat qui ne manque pas de soulever les passions depuis le début du confinement, mais qui a, depuis quelques jours, pris une tout autre ampleur. Il s’est en effet retrouvé sur le devant de la scène médiatique grâce aux initiatives des étudiants de l’université Paris-I, qui sont allés en justice pour réclamer l’annulation des notes en-dessous de la moyenne. Les enseignants ont contesté cette mesure devant le tribunal administratif, qui a néanmoins tranché en faveur des étudiants. Or, ces derniers ne sont pas pour autant rassurés, car un nouveau recours, fortement plébiscité par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a été déposé devant la justice.
Un manque cruel de bienveillance de la part de certains professeurs
Selon Madame Vidal, la délibération de la Commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) « méprise l’engagement exceptionnel des enseignants au service de la continuité pédagogique ». Fort heureusement, de nombreux professeurs se sont spontanément adaptés aux circonstances exceptionnelles du confinement, soit en ayant drastiquement allégé le contenu des cours, soit en ayant d’eux-mêmes supprimé les examens pour les remplacer par de simples devoirs maison. Les professeurs les plus compréhensifs n’ont pas attendu les directives d’administrations parfois trop silencieuses pour faciliter le quotidien bouleversé des étudiants, et il faut les en remercier sincèrement.
Or, bienveillance et empathie ne sont malheureusement pas toujours les qualités les plus prisées par les équipes pédagogiques, selon le témoignage de nombreux étudiants. Certains enseignants ont allègrement compliqué les choses en proposant des examens plus longs, plus ardus, allant jusqu’à les faire porter sur des notions inconnues des étudiants. Marianne[tooltips content= »Les prénoms ont été changés »]*[/tooltips], étudiante dans une grande école, me l’affirme : « un professeur nous a avertis que l’examen nécessiterait six heures de composition au lieu de trois habituellement, et que les questions seraient plus difficiles. L’administration a été impuissante à le faire changer d’avis. » D’autres étudiants, absents à tous les cours en visioconférence pour des raisons parfaitement recevables, se sont vus imposer de (mauvaises) notes de participation. Pourtant, on conviendra que mettre une note de participation à un absent, est aussi cohérent que mettre une note d’EPS à un élève qui s’est cassé la jambe. Enfin, Luc*, désespéré, écrit que, malgré ses 40 de fièvre dus à la Covid, l’administration de son université lui a préconisé de « faire l’effort de composer », sans quoi il se retrouverait dans l’obligation de rattraper 4 examens l’an prochain – en plus de ceux du niveau supérieur à valider, donc. Des témoignages comme ceux-ci se sont multipliés tout au long du confinement, prouvant à quel point des étudiants ont été malmenés sur le plan pédagogique.
Des impossibilités matérielles évidentes
Seulement, l’absence d’empathie de certains professeurs n’est pas le seul élément venant justifier la requête des élèves de Paris-I. Les diverses impasses dans lesquelles se trouvaient nombre d’entre eux suffisaient à elles seules à prendre une décision aussi exceptionnelle.
Tout d’abord, pour réaliser la moitié d’un semestre en ligne, il faut disposer d’un matériel informatique conséquent, condition sine qua non d’un « bon » déroulement pédagogique. Or, le président du tribunal administratif a précisé que, si la tenue des examens à distance n’était pas justifiée, c’était bien car « seuls 73% des étudiants disposent d’un équipement informatique personnel, et que 40% ne s’estiment pas en mesure de subir des épreuves à distance en un temps réduit. »
Par conséquent, un nombre non négligeable d’étudiants ne dispose pas d’un ordinateur personnel : cela signifie que, au mieux, ces derniers partagent l’ordinateur avec des membres de leur famille, ou que, au pire, ils n’en ont tout simplement pas, sans parler des nombreux problèmes de connexion que beaucoup ont rencontré dans les zones blanches où ils étaient confinés.
Des étudiants en grande souffrance
Mais il n’y a malheureusement pas que les impossibilités informatiques qui ont empêché les étudiants de composer à distance, ou même de suivre les cours un tant soit peu normalement. Si cette incapacité d’accès à internet était l’unique motif justifiant cette mesure, ce serait presque rassurant sur l’état de la vie estudiantine. Hélas, des situations de détresse bien plus graves ont émaillé ces semaines de confinement.
Premièrement, il semble échapper à bien des personnes que nous sommes en temps de pandémie. Même si la Covid fait peu de cas graves parmi les jeunes, nombreux sont ceux qui ont été très malades, restant parfois cloués au lit pendant 4 à 6 semaines. Comment rattraper des cours ou passer des examens dans cet état ? Et il y a bien entendu tous les décès des proches des étudiants, qui les ont affectés au même titre que les autres français. Peut-on faire comme si de rien n’était lorsque l’on sait que ces deuils ont été encore plus éprouvants qu’à l’accoutumée sur le plan psychologique, les derniers adieux ayant souvent été refusés aux familles ?
Au-delà du virus, le confinement a rendu les conditions de vie des étudiants encore plus difficiles qu’elles n’étaient alors. Rappelons que, selon l’Observatoire de la vie étudiante, 46% des étudiants travaillent pendant l’année scolaire, et plus de la moitié de ces étudiants jugent que leurs activités sont « indispensables pour vivre ». Chiffre encore plus malheureux, 20% des étudiants vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Comment étudier dans de bonnes conditions lorsque l’on se nourrit de pâtes un jour sur deux, faute d’avoir pu exercer son « job étudiant » pour acheter le minimum vital ? La pandémie n’a fait qu’accentuer la détresse financière de ces étudiants, que les défenseurs des examens jugent, à tort, comme « des cas à part ». Or, tous les chiffres ci-dessus nous prouvent que les étudiants ayant vécu des conditions de confinement impropres aux études ne sont pas minoritaires, loin de là.
Car la grande erreur est de penser que la majorité des étudiants a eu la chance de se confiner dans une belle maison en Savoie, avec papa et maman aux petits soins, une connexion 4G optimale sur un Macbook Pro, et la terrasse pour faire bronzette – situation qui rendrait les étudiants encore plus performants pour étudier. En effet, si on additionne les cas d’étudiants qui n’ont pas d’ordinateurs, ceux qui ont une connexion plus qu’aléatoire, ceux qui ne peuvent pas se nourrir décemment, ceux qui ont été malades, ceux qui ont perdu des proches, mais aussi les 5% de parents-étudiants qui ont dû garder leurs enfants faute d’école ou de crèche, ou encore ceux qui se sont retrouvés confinés à cinq ou six dans de minuscules appartements, comme c’est monnaie courante dans les quartiers les plus défavorisés, on arrive à une proportion faramineuse d’étudiants en détresse.
Une question de « méritocratie » ?
Vouloir faire la sourde oreille face à toutes les plaintes légitimes des étudiants, et parfois face aux véritables drames individuels occasionnés par la pandémie, dénote soit d’une cruelle méconnaissance de la réalité, soit d’un manque de considération impardonnable vis-à-vis de tous ces jeunes gens qui, contrairement à ce que l’on entend souvent, se démènent pour réussir leurs études. D’ailleurs, même les plus scrupuleux réclament depuis le début du confinement une validation automatique de leur semestre : peut-on vraiment les accuser de fainéantise ? De tels reproches font le jeu des pessimistes et autres alarmistes en tous genres. Si les étudiants réclament de telles mesures, c’est justement pour ne pas perdre bêtement une année à cause d’une pandémie qui aura déjà fait assez de dégâts pour qu’elle ne vienne, en plus, leur prendre un semestre qu’ils auraient réussi en temps normal.
De surcroît, il est regrettable que ces mesures aient seulement été portées par les syndicats de gauche (Unef, Solidaires, etc.), ce sujet ne devant pas être révélateur des clivages droite-gauche puisqu’il ne remet nullement en cause le bien-fondé de la méritocratie. Il ne s’agit pas, dans le cas présent, de « brader » un diplôme (qu’est-ce qu’un malheureux semestre sur les dix qui composent habituellement une scolarité ?), ni de vouloir rabaisser les critères de sélection, de rendre les cours plus faciles, d’instituer des passages « automatiques » sur le long terme, ou encore de faciliter la « triche » à la maison : il s’agit tout simplement de prendre en considération, sur le plan humain, la réalité du confinement sur les étudiants. Et, dans l’intérêt du plus grand nombre, il vaut mieux que quelques étudiants profiteurs passent dans le niveau supérieur, quitte à redoubler par la suite, que laisser de bons étudiants sur le carreau à cause de circonstances qu’ils n’auraient pas pu maîtriser, même avec la meilleure volonté du monde. Ces semaines de confinement sont uniques dans notre Histoire ; alors, pourquoi voir dans une mesure d’urgence, une mesure révélatrice de la médiocratie ambiante – qui, elle, est bien réelle ?
Concrètement, est-ce que la suppression des notes inférieures à 10, pour un unique semestre, fera obstacle à la hiérarchie juste et nécessaire qui sépare les bonnes copies des médiocres et des plus faibles ? Je réponds non, certaine que la réparation d’un dommage subi par la force des choses, n’entravera pas la bonne évaluation des exercices dans le futur – car un principe de justice ne saurait en offenser un autre.
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