Sciences Po, Sorbonne, Nanterre, Lyon-2, Toulouse, Strasbourg… Les universités françaises sont devenues des lieux hostiles, voire carrément dangereux pour les étudiants juifs. L’antisémitisme d’atmosphère s’est mué en soutien au Hamas et les références au nazisme se sont banalisées, dans l’indifférence complice de l’administration.
« Le 7 octobre a littéralement galvanisé les pulsions de haine antisémites à Sciences Po. Ça a explosé quelques jours après le 7 octobre, quand un hommage à Omri Ram, un étudiant assassiné par les terroristes islamistes, a été vandalisé par des étudiants propalestiniens. Toutes les affiches à sa mémoire qui avaient été accrochées à la péniche (hall d’entrée de Sciences Po) ont été arrachées ou recouvertes par des tracts propalestiniens. C’était très choquant mais l’administration n’a pas réagi ». Cet étudiant, comme tous ceux qui nous parlent, préfère rester anonyme. Les témoignages sur Sciences Po postés par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) interpellent par leur violence : un étudiant s’est entendu dire que « tous les Israéliens qui sont morts méritaient de mourir ». Rappelons que les habitants des kibboutz massacrés étaient des civils. Sur une boucle d’activistes propalestiniens de l’école, un étudiant a naïvement posté : « Je suis presque sûr qu’aucun d’entre nous n’a justifié des pogroms violents contre le peuple juif ». Réponse cinglante : « Tu nous connais mal ».
Autre témoignage d’une étudiante juive, interpellée par un militant propalestinien : « Elles sont mignonnes tes chaussures vintage, elles font penser au temps où on t’aurait enlevé ces chaussures ». Visiblement une partie des étudiants de Sciences-Po, militants LFI et propalestiniens (ou plutôt pro-Palestine-de-la-mer-au-Jourdain), ne pèchent pas par ignorance… Ils savent très bien ce qu’a produit dans l’histoire la haine des juifs et ils en acceptent parfaitement les conséquences – par exemple, ceux qui écrivent sur les réseaux qu’Hitler aurait dû finir le boulot. Sciences Po Paris est loin d’avoir le monopole en la matière. Dans le monde universitaire, le 7 octobre a été le révélateur d’un antisémitisme à peine latent au sujet duquel les étudiants juifs tirent la sonnette d’alarme depuis quelques années, sans jamais être entendus.
Les tags « Mort à Israël, mort aux juifs » fleurissent sur les murs…
À l’université de Strasbourg, les tags antisionistes sur les piliers en béton des bâtiments doivent être effacés tous les jours. L’antisémitisme d’atmosphère se traduit aussi par des agressions physiques, un climat délétère, l’impossibilité d’aborder le conflit Gaza/Israël autrement que par l’invective et la mise en accusation. Des étudiants juifs sont accusés de génocide. Quiconque rappelle le pogrom du 7 octobre peut devenir une cible. Sur le campus de Strasbourg, des membres du Collectif du 7 octobre ont ainsi été frappés parce qu’ils collaient des affiches pour la libération des otages. Leurs agresseurs avaient épousé tous les codes des terroristes : attaque en meute, visage masqué. On a observé les mêmes codes devant Sciences Po où, pour certains, se grimer en terroriste palestinien est le sommet du snobisme et la pointe de la mode.
À Nanterre, on ne prend plus la peine d’habiller l’antisémitisme d’un voile antisioniste. Les tags « Mort à Israël, mort aux juifs » fleurissent sur les murs, et les croix gammées deviennent récurrentes sur les tables de la faculté. « Le signe n’est même plus un marqueur d’extrême droite, certains l’utilisent pour désigner Israël », raconte une étudiante qui ne souhaite pas être identifiée.
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À l’université Lyon-2, il a fallu la mobilisation de la préfecture et d’élus de droite pour faire annuler une réunion organisée par Solidaires étudiant-es et le Collectif 69 Palestine, intitulée « Colonisation et apartheid israélien, quel avenir pour les Palestiniens ? », dont l’invitée vedette devait être Maryam Abou Daqqa, représentante du FPLP, reconnu comme organisation terroriste par l’Union européenne, les États-Unis… Cela a chiffonné beaucoup de monde, mais pas la direction de l’université. Finalement, les craintes pour la sécurité des étudiants juifs ont motivé la décision d’interdiction.
Continuons ce triste tour de France : à l’université de Toulouse, un étudiant a été suspendu pour avoir diffusé des propos antisémites sur Instagram. Il a cependant fallu que son dossier passe à deux reprises en commission. En décembre 2023, dans La Dépêche, Léo Bilfeld, le président de l’UEJF Toulouse, racontait que les lycéens toulousains de confession juive évitaient systématiquement l’université Jean-Jaurès, tant l’antisémitisme y était décomplexé grâce à l’action notamment du collectif Palestine vaincra.
À la Sorbonne – qui pour une fois n’est pas à la pointe d’un mouvement étudiant – les tensions sont très fortes. Des étudiants ont expliqué à des camarades juifs que le 7 octobre était mérité. Le pire, c’est que si tous les témoins exigent l’anonymat, ce n’est pas seulement parce qu’ils craignent la violence ou le rejet de leurs condisciples. Ils redoutent aussi les représailles de l’administration censée les protéger ! Et on peut difficilement leur donner tort tant l’attitude du corps administratif et professoral des universités et grandes écoles est ambiguë.
91 % des étudiants juifs déclarent avoir été victimes d’un acte antisémite
Le 10 avril 2024, Guillaume Gellé, président de France universités et Isabelle de Mecquenem, professeur de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité, étaient auditionnés par la mission du Sénat sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Leurs propos ont oscillé entre le déni, l’arrogance et le refus d’admettre la moindre responsabilité de l’institution et la médiocrité des réponses apportées par l’institution. Quand on visionne les auditions des présidentes d’Harvard et de Columbia devant le Congrès à Washington, on se dit qu’en matière de banalisation de l’antisémitisme dans les facs, la France n’a rien à envier à l’Amérique.
On ne s’en étonne plus, la violence de l’antisémitisme arabo-musulman et son caractère totalement décomplexé sont l’objet d’une sourcilleuse omerta. Dans sa présentation liminaire, Isabelle de Mecquenem, qui revient sur l’histoire de l’antisémitisme, paraît occulter tout à fait cette dimension. On sait parfaitement, pourtant, depuis les années 2000, que les sentiments antijuifs sont plus répandus chez nos compatriotes musulmans que dans l’ensemble de la population. Quant aux actes antisémites, en particulier à l’université, ils sont plus souvent commis par des étudiants d’origine arabo-musulmane et/ou d’extrême gauche que par des « fachos ». Lors des déplacements de Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon, qui multiplient les meetings politiques dans les facs, plusieurs étudiants juifs disent se sentir encore plus en danger qu’à l’habitude. Les dirigeants d’université, eux, ne font pas le lien. Imaginons qu’après le 7 octobre, une association d’extrême droite ait appelé à la haine des musulmans. Les présidents d’université auraient-ils hésité à réclamer sa dissolution et à l’interdire de réunion ?
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Nos éminences universitaires semblent ignorer que, selon les sondages, 91 % des étudiants juifs déclarent avoir été victimes d’un acte antisémite, 67 % des actes dénoncés ayant eu lieu à l’université. Résultat : 36 % cachent le fait qu’ils sont juifs. Il suffit de les écouter pour comprendre pourquoi l’UEJF comme le MEJF (Mouvement des étudiants juifs français) peinent à faire entendre la voix des étudiants juifs. À HEC, les anciens élèves ont échoué à faire sanctionner un professeur qui avait qualifié le 7 octobre de « soulèvement des colonisés » et dénoncent le silence de la direction. De fait, on ne sache pas que des professeurs coupables de propos déplorables aient été sanctionnés. Ce silence traduit le même conflit d’intérêts que celui qui paralyse la direction de Sciences Po : l’argent y éteint toute considération morale. L’accueil d’étudiants étrangers qui payent très cher leurs études est une manne, mieux vaut donc ne pas froisser les candidats. Partenaire d’HEC, le Qatar, également banquier des Frères musulmans et du Hamas, finance une partie des activités. Des universités en difficulté ou avides de financement et de prestige international sont des proies faciles pour des États étrangers décidés à diffuser leur vision du monde.
Face au procès en lâcheté qui leur est intenté, 70 présidents d’université ont finalement signé une tribune. Ce plaidoyer pro domo dénué de toute empathie à l’égard des étudiants juifs ne présage aucune prise de conscience. L’antisémitisme n’est pas près de disparaître des campus.
Science-Po Menton : un campus « jews free » : Sciences Po Menton est le cas d’école de l’antisémitisme décomplexé. Le 8 octobre, l’association Sciences Palestine de Menton a posté ce message : « Hier, des résistants palestiniens ont lancé une attaque contre Israël ». Les membres de l’association ont été convoqués par la direction, mais aucune sanction n’a été prise. Les pressions ont donc continué. Or, sur ce campus, rattaché à celui de Paris, 60 % des étudiants viennent de l’étranger, principalement du monde arabe. D’après des représentants syndicaux étudiants, il a fallu rapatrier les étudiants juifs rue Saint-Guillaume, car l’école ne pouvait plus assurer leur protection. En loucedé bien sûr. Sciences Po Menton a réalisé le rêve des militants propalestiniens : une école « jews free ».