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Universités, la révolution culturelle

Le militantisme fait ses classes


Universités, la révolution culturelle
Conférence d'Houria Bouteldja, présidente du Parti des indigènes de la République (PIR), à l'occasion des dix ans du mouvement, 8 mai 2015. © Thomas SAMSON/ AFP

Acquises à l’idéologie féministe, décoloniale et intersectionnelle, certaines de nos universités deviennent des foyers d’endoctrinement. Au mépris de toute vocation scientifique, enseignants et responsables administratifs y encouragent les pulsions épuratrices de leurs étudiants.


« Race, Racismes, Racialisation » : c’est le titre d’un colloque qui se tiendra fin 2020 à l’université Côte-d’Azur dans le but de « repenser les questionnements empiriques, conceptuels et méthodologiques liés aux processus de construction des catégories ethnoraciales, de discrimination et de racialisation, au prisme des rapports d’inégalité et de pouvoir ». Des réunions du même tonneau sont organisées dans les universités partout en France. Des professeurs de Paul-Valéry (Montpellier) et Jean-Jaurès (Toulouse) ont lancé un appel à communications pour un colloque intitulé « Pour une histoire féministe et décoloniale de la philosophie », qui devrait se tenir en deux temps fin 2020. L’objectif affiché est la « (ré)interprétation des textes/concepts philosophiques à la lumière des questions de la race, du racisme, du colonialisme », grâce à la relecture des « textes canoniques de l’histoire de la philosophie sous le prisme des questions relatives à la domination masculine, à la différence sexuelle, au sexe et au genre, à la sexualité ».

Côté étudiants, une multitude de travaux universitaires explore les thèmes indigénistes, comme cette étude en science du langage intitulée « Whitiser, c’est parler comme un Blanc » ou la thèse « Langage, subjectivité et postcolonialité chez des militants afrodescendants d’origine camerounaise à Paris », soutenue à l’université Paris-Descartes en octobre 2019. La prestigieuse université Paris 1 Panthéon-Sorbonne n’est pas en reste, puisqu’une thèse de philosophie soutenue en ses murs interroge « La fabrique de l’étranger intérieur : généalogie d’une gouvernementalité coloniale ».

Dans des facultés françaises, des professeurs et étudiants s’emploient à démontrer que le vieux fond colonialiste de l’Occident, dont la France serait le parangon, reste immuable, des grandes découvertes modernes au « racisme institutionnel » contemporain. Les travaux cités plus haut aspirent à démasquer ces mécanismes de domination afin de faire enfin régner l’égalité, la paix et la fraternité. La rhétorique marxiste de la lutte des classes prend ainsi des oripeaux ethniques.

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Le vocabulaire décolonialiste a de quoi surprendre les non-initiés. Importées des États-Unis, les postcolonial studies (« études postcoloniales ») se sont développées dans les années 1980 après la publication de l’essai fondateur d’Edward Saïd, L’Orientalisme. Ce mouvement est arrivé en France au milieu des années 2000. La maison d’édition Amsterdam, spécialisée dans les sciences sociales, commence alors à traduire massivement les principaux ouvrages d’études postcoloniales américains et publie un « Appel pour les assises de l’anticolonialisme postcolonial », Nous sommes les indigènes de la République. Cet événement éditorial transforme une nébuleuse idéologique en un mouvement politique qui donnera naissance en 2008 au Parti des indigènes de la République.

L’intersectionnalité, un renouveau identitaire

En même temps que les études postcoloniales revisitent la notion d’identité, un nouveau courant émerge : l’intersectionnalité. Ce concept désigne la combinaison simultanée, chez une personne, de plusieurs facteurs, qui aggrave la domination ou la discrimination qu’elle va subir. Dans cette logique, une femme noire et homosexuelle sera davantage discriminée qu’une noire hétérosexuelle. Rapidement, le piège se renferme sur ce courant : en enfermant les individus dans une conception ethnoraciale impossible à définir (Un Noir peut-il avoir un aïeul blanc ? Comment prouver son appartenance raciale ?), il ouvre des revendications identitaires infinies.

Pour alimenter ces nouveaux besoins identitaires, des mots et des concepts se créent. Ainsi apparaît le terme « racisé » pour qualifier une « personne non blanche » (adieu l’éloge du métissage !) ou de « privilège blanc » pour dénoncer l’avantage inné et indu dont jouissent les Blancs.

Dans la même perspective, on a assisté ces dernières années au déploiement des identités sexuelles et, dans la foulée, à la création d’un champ de recherche pluridisciplinaire, où le genre et le sexe sont considérés comme des constructions sociales que l’individu peut contester à sa guise. Des hommes peuvent donc se revendiquer femmes et exiger le même traitement que les femmes, notamment pour l’accès aux vestiaires et aux toilettes. En Angleterre, un homme qui affirmait se sentir femme a par exemple été incarcéré dans une prison réservée au beau sexe et en a profité pour agresser sexuellement les autres prisonnières.

La montée en puissance du mouvement décolonial tend à effacer un peu plus la frontière entre militantisme et enseignement. Si l’université a toujours été politisée, certains établissements sont aujourd’hui des foyers d’endoctrinement au mépris de toute vocation scientifique. L’université Lumière Lyon 2 propose un cours de troisième année de science politique sur le « féminisme islamique » avec comme lecture obligatoire l’exégèse coranique « Femmes musulmanes et oppression : lire la libération à partir du Coran ». Une référence tirée du livre de Zahra Ali, Féminismes islamiques. La lettre et l’esprit du cours visent à démontrer la parfaite compatibilité entre islam et féminisme. Les étudiants sont appelés à défendre un point de vue particulier en utilisant le slogan « Mon voile, mon corps, mon choix, féministes et musulmanes », qui est celui de l’association Lallab, connue pour dénoncer et de combattre nos lois laïques jugées « islamophobes ». Du reste, si on a un doute quant à l’orientation du cours, on pourra se référer aux tribunes « proburkini » ou antilaïques de sa responsable dans les colonnes de Libération. En l’occurrence, son opinion politique – légitime par ailleurs – semble largement influencer son travail académique.

On retrouve le même mélange des genres dans un autre cours de Lyon-2, également dispensé aux étudiants de troisième année de science politique : sociologie des mobilisations collectives. Un enseignement au service d’une seule cause : l’intersectionnalité. Et ce phénomène essaime aux quatre coins de l’Hexagone. À Nanterre, en troisième année de science politique, le cours « étude du genre » fait plancher les étudiants sur des textes tels que « Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel », d’Isabelle Clair ou encore On ne naît pas soumise, on le devient, de Manon Garcia. Le tout entrecoupé de projection du film Tomboy, que sa réalisatrice définit comme une œuvre « féministe et politique ».

À Paris 8, des réunions en « non mixité » se tiennent même dans des amphithéâtres prêtés par l’université

Les professeurs sont d’autant plus portés à confondre enseignement et endoctrinement que leur militantisme est ouvertement encouragé. À Lyon II et notamment au sein de l’UFR d’anthropologie, de sociologie et de science politique, lors des mouvements sociaux, les cours sont banalisés pour encourager les étudiants à se mobiliser. Ces derniers reçoivent régulièrement des mails de leur « directrice » David Garibay (la fonction a été féminisée par antisexisme) les appelant à s’engager dans la lutte. Le 4 décembre 2017, Monsieur la directrice a écrit le message suivant : « Nous saluons l’engagement citoyen des étudiant.es mobilisé.es dans l’accompagnement des migrant.es. La direction de l’UFR appelle à participer à ce rassemblement » (en l’occurrence une manifestation devant la préfecture du Rhône).

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Une humeur comparable règne à l’université de Rouen-Normandie. Le 3 février, la directrice du département de sociologie, Élise Palomar, a carrément invité « les collègues enseignant-es à ne pas faire cours les journées de mobilisation nationale interprofessionnelle (le 6 février 2020 et le 17 février 2020) » et encouragé « les étudiant-es à participer activement à la journée de mobilisation contre la précarité des étudiant-es et des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui aura lieu le 11 février 2020 », précisant que l’UFR suspendait « le contrôle de l’assiduité jusqu’à nouvel ordre ».

À Nanterre, l’université met un local à disposition de l’association « féministe et intersectionnelle » Cofin qui organise des réunions « en mixité choisie », c’est-à-dire sans hommes. À Paris 8, des réunions en « non-mixité » se tiennent même dans des amphithéâtres prêtés par l’université.

Les étudiants semblent peu armés pour répondre à cette politisation à outrance. Les assemblées générales sont fréquemment verrouillées et contrôlées par un petit groupe d’enseignants et d’étudiants extrémistes. À titre d’exemple, l’annulation des examens du premier semestre du département de sociologie à l’université de Rouen-Normandie a été votée par une trentaine d’étudiants et une dizaine de professeurs alors que plus de 200 étudiants étaient directement concernés. Les brebis galeuses qui osent contredire les minorités agissantes risquent de se faire prendre à partie par des professeurs ou même de subir des sanctions académiques. C’est ce qui m’est arrivé : un de mes devoirs a été mal noté à cause d’un supposé « prisme idéologique ». Bénéficiant de l’appui des professeurs idéologisées et de la complicité de l’administration, une minorité dicte sa loi. Parfois par la force. Ainsi s’arroge-t-elle le droit d’interdire les événements qui lui déplaisent.

Depuis quelques années, la violence a en effet repris ses droits au sein des universités. Pour certains étudiants, elle est un levier d’action légitime. Et efficace. La lecture du livre de Charb, Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes à l’université de Lille 2, qui devait avoir lieu le 2 mai, a été annulée par le président par crainte de débordements. On se rappelle Les Suppliantes, pièce d’Eschyle interdite de représentation en mars 2019 sous prétexte de « black-face », la conférence que devait tenir Sylviane Agacinski à Bordeaux, ou encore le séminaire sur la déradicalisation qu’organisait Mohamed Sifaoui à la Sorbonne.

De la censure à l’épuration, le pas est allègrement franchi. En 2019, après avoir dénoncé les dérives idéologiques de l’université dans la presse quotidienne, j’ai été ciblé par un tag invitant à me « grand-remplacer » dans mon université à Lyon 2. En 2020, toujours à Lyon 2, des professeurs sont traités de « fachos » ou d’« islamophobes ». À Lille 2, les participants du colloque « Laïcité et féminisme » ont été accueillis ce 1er février par des tags « Mort aux FAF », « Fil.les de colons » ou encore « Blanches, bourgeoises et racistes ! La laïcité ne justifie pas le racisme ! ».

Alimentée par l’idéologie, la violence se banalise tandis que les dirigeants et les administrations des universités, quand elles ne la cautionnent pas, évitent soigneusement de prendre position. Les médias ont très récemment pris conscience de l’ampleur du problème, grâce à la mobilisation de certains universitaires, qui ne font hélas pas le poids face à cette vague d’intolérance. On peut craindre que les nouvelles générations de Français baignent dans ce séparatisme culturel inventé sur les campus américains. Enseignants et journalistes issus de ce maelstrom s’annoncent comme les dignes continuateurs du fanatisme idéologique marxiste des années 1970, la culture classique en moins.

Mars 2020 - Causeur #77

Article extrait du Magazine Causeur




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