Les actions coup de poing et les pressions sur des personnalités jugées malséantes se multiplient dans les facs. LGBT ou antiracistes, la minorité d’étudiants censeurs bénéficie de la passivité de l’institution et du soutien de certains enseignants.
Les annales de l’année universitaire « décoloniale, genrée et intersectionnelle » 2019 sont forts riches. Le 14 mars, Nicolas Warembourg, professeur d’histoire du droit à l’université Paris 1, est aspergé d’urine, dans un amphithéâtre de la place du Panthéon, alors qu’il animait une conférence organisée par l’Association des étudiants en droit sur « la présomption d’innocence à l’heure de Balancetonporc »… En mars également, la pièce Les Suppliantes d’Eschyle est censurée à la Sorbonne parce qu’un personnage portait un masque noir, supposé propager des clichés racistes. En mai, des étudiants dénoncent les propos racistes, sexistes et homophobes du vice-doyen de la faculté de médecine de Lyon 2, le cancérologue Gilles Freyer. En juin, l’Union des étudiant-e-s de Toulouse (UET) obtient la mise à pied de deux enseignants d’arts plastiques, accusés de harcèlement sexuel et de propos intolérables. Prévue le 24 octobre, la conférence de Sylviane Agacinski à l’université de Bordeaux-Montaigne est annulée sur pression des militants LGBT, parce qu’elle est contre la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes. Exactement au même moment, un colloque sur la prévention de la radicalisation prévue à la Sorbonne est également annulé, le journaliste Mohamed Sifaoui se voyant reprocher de propager l’islamophobie.
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Bilan ? Zéro résultat. La justice a classé sans suite en décembre 2019 les plaintes déposées contre les deux agrégés du département Arts plastiques-design de l’université Toulouse 2 Jean–Jaurès (UT2J). Saisie par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (IGAENR) a relevé « le goût évident » pour la provocation du professeur Gilles Freyer, mais elle a considéré que les propos rapportés n’appelaient « ni saisine de la justice ni procédure disciplinaire ». « Il n’est pas douteux qu’il n’éprouve pas une empathie particulière envers les militants LGBT+, mais il ne manifeste ni homophobie, ni transphobie, ni queer-phobie », écrivent les rapporteurs [tooltips content= »Les syndicats étudiants de gauche n’ont pas le monopole des accusations mal étayées. En février 2019, sur dénonciation d’un militant de l’UNI, un chargé de TD de la fac de droit-éco de Perpignan a été mis à pied pour harcèlement sexuel contre plusieurs étudiantes. Il a été réintégré en février 2020, lavé de tout soupçon. »][1][/tooltips]. Sylviane Agacinski a reçu un très large soutien de la classe politique et elle donné sa conférence, plus tard. « Honte à cet odieux sectarisme », a twitté Jean-Luc Mélenchon. Hors de la sphère ultra militante, l’attaque contre Nicolas Warenbourg et la censure contre Les Suppliantes n’ont suscité que des commentaires indignés.
« Pas de vagues », un mot d’ordre de moins en moins audible
La machine est pourtant repartie de plus belle en 2020. Des militants étudiants ont tenté sans succès d’empêcher un colloque d’associations universalistes, coorganisées à Lille début février 2020 par le Comité laïcité république et l’hebdomadaire Marianne.
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Certains enseignants sont de plus en plus inquiets. Le réseau Vigilance universités en rassemble désormais plus de 160, préoccupés par la montée du « racialisme » et l’obsession du genre dans les universités. Ce réseau a progressivement émergé en 2012, date de sa fondation à la suite de la représentation, à l’université de La Rochelle, d’une pièce à l’humour fortement teinté d’antisémitisme, « Le rôle de vos enfants dans la reprise économique mondiale » (à l’époque, l’UNEF avait protesté contre la pièce…). Il y a eu ensuite l’affaire du directeur de l’IUT de Saint-Denis : luttant contre une association d’étudiants musulmans qui faisait du prosélytisme religieux, il avait été suspendu en 2014 par la direction de l’université, avant d’être réintégré en 2016 par une commission disciplinaire. Puis il y a eu, en mai 2017, l’annulation par l’université de Lille 2 d’une lecture de la lettre de Charb « aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes ». Avec toujours, de la part des universités, le même mot d’ordre : pas de vague. Un mot d’ordre qui montre ses limites.
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Contactés, des membres de Vigilance universités refusent de s’exprimer publiquement. Non par pusillanimité, mais parce qu’ils s’attendent, pour les années à venir, à une lutte sourde entre universitaires, autour des questions de racialisme et de genre. En effet, s’ils ne bénéficiaient pas du soutien d’universitaires, les jeunes qui se mobilisent – et qui ne sont ni bien armés sur le plan conceptuel (voir entretien avec le porte-parole de la Brigade anti-négrophobie page 59 de votre magazine Causeur) ni très nombreux – n’auraient guère d’influence. Les quatre associations bordelaises LGBT (GRRR, Riposte trans, Mauvais genre-s et Wake Up) qui se sont opposées à la conférence de Sylviane Agacinski forment un cercle local restreint. Ces militants sont encouragés par des enseignants, voire par l’institution, comme l’illustre la mésaventure survenue fin janvier 2020 à la philosophe de l’art Carole Talon-Hugon (voir notre article p 58 de votre magazine Causeur).
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