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Unesco, Trump, Fillon: le journal d’Alain Finkielkraut


Unesco, Trump, Fillon: le journal d’Alain Finkielkraut
Mur des lamentations, Jérusalem. Sipa. Numéro de reportage : 00722591_000008.
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Mur des lamentations, Jérusalem. Sipa. Numéro de reportage : 00722591_000008.

Le négationnisme de l’Unesco (6 novembre)

La résolution adoptée par l’Unesco le 18 octobre dernier a rebaptisé le mont du Temple « Haram al-Sharif » et le Mur des lamentations « Al-Buraq Plaza ». Cette déjudaïsation de Jérusalem n’est pas seulement révoltante, elle est désespérante car elle porte un coup très dur et peut-être mortel à la paix. Elle officialise, en effet, l’idée qu’Israël est une anomalie historique, « un bleu, une ecchymose qui s’éternise sur l’épaule de l’islam », selon l’expression poétique de Jean Genet dans Un captif amoureux, et que le retour à la santé passe donc par sa résorption.


L’esprit de l’escalier – Alain Finkielkraut sur… par causeur

Il y a quelques mois, la France avait approuvé une résolution du même type. L’occasion lui était donc donnée de se rattraper. Elle ne l’a pas saisie. Alors que les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les États-Unis ont voté contre un texte qui est l’équivalent de papier de la destruction des bouddhas de Bamiyan, notre représentant a choisi de s’abstenir. Et ce scandale n’a pas fait scandale. La presse française, d’habitude si vigilante et si critique, n’y a rien trouvé à redire. Elle ne sait plus, en effet, tenir les deux bouts de la chaîne. Elle ne veut plus voir que, comme l’écrit Ari Shavit, dans son beau livre Ma terre promise, « Israël reste la seule nation occidentale qui occupe le territoire d’un autre peuple et demeure, en même temps, la seule nation à être menacée dans son existence même ». Et les juifs de France souffrent deux fois : de cette résolution indigne et de ne pas pouvoir partager leur indignation avec les autres Français. C’est une expérience d’autant plus désolante que ce qui arrive à Israël arrive aussi à l’Europe. Ici et là, l’islam est habité par ce que Patrick Buisson appelle « le double sentiment explosif et contradictoire de la supériorité de sa civilisation et de l’infériorité de sa puissance ». Il faudrait être capable d’exiger la fin de l’occupation de la Cisjordanie et en même temps de penser ce qui commence à nous rapprocher d’Israël. Mais c’est trop demander aux médias et à l’intelligentsia de notre pays.[access capability= »lire_inedits »]

Une exception pourtant à ce triste tableau : l’article publié par Éric Conan dans Marianne sous le titre « Extension du domaine de la solitude juive ». En voici un extrait : « Le silence est parfois pire que les mots, on ne sait ce qu’il dissimule : indifférence, lâcheté ou approbation, surtout quand il est assourdissant, comme celui qui a suivi la résolution de l’Unesco niant implicitement tout lien entre Jérusalem et le judaïsme. Nier, occulter, voire effacer les traces des traditions qui précèdent l’islam est le réflexe des fondamentalistes. Proclamer un lieu musulman pour l’interdire aux autres, voir ce réflexe surgir au cœur de l’Unesco crée un malaise en attestant que le drame israélo-palestinien relève moins d’un conflit entre nations que d’un combat religieux. Il ne s’agit pas seulement du Hamas dont la charte appelle au meurtre des Juifs au nom d’Allah, mais aussi du modéré Mahmoud Abbas adhérant à la vision islamiste d’une Jérusalem judenfrei : “La mosquée al-Aqsa et l’église du Saint-Sépulcre sont nôtres, elles sont entièrement nôtres, et les Juifs n’ont pas le droit de les souiller de leurs pieds sales […]” Et le silence gêné suscité par tout cela accroît le sentiment de solitude des Juifs de France. »

Conan, tout en le décrivant, a voulu rompre cet isolement, et les Juifs, grâce à lui, ont le cœur un peu moins lourd.

L’élection de Donald Trump (13 novembre)

Les électeurs de Donald Trump réclament des frontières. La mondialisation, qui devait être le dernier avatar de la domination occidentale, les a laissés sur le carreau par le transfert à la Chine des capacités productives américaines. Majoritairement blancs, ils tolèrent de moins en moins bien la discrimination positive, la suspicion et le mépris dont ils sont l’objet dans les African American studies, les women studies, les subaltern studies, toutes les nouvelles disciplines inventées par le politiquement correct. Leurs ancêtres sont des DWEMs : « Dead White European Males » et ceux-ci sont chargés de tous les péchés de la terre. Traités par Hillary Clinton « de sexistes, de racistes, d’homophobes, d’islamophobes, j’en passe et des meilleures », ces électeurs n’en peuvent plus, je les comprends. Mais ce qui est tragique, c’est que la frustration et la colère les aient jetés dans les bras d’un démagogue sans foi ni loi ni culture.


L’esprit de l’escalier – Alain Finkielkraut sur… par causeur

Certains de ceux qui combattent ici la bien-pensance et qui sont, jour après jour, insultés par elle, se réjouissent de sa débâcle américaine. Quelles que soient les réserves que leur inspirent la mégalomanie infantile de Trump et son incroyable vulgarité, ils voient dans ces élections un camouflet au pouvoir médiatique et un encouragement à lutter contre l’invasion migratoire. Je crois qu’ils ont tort. Sous le drapeau d’une révolte contre le camp du Bien, Trump bafoue la décence commune, exhibe son ignorance et s’affranchit de toutes les règles de l’argumentation. Dans un article publié par Causeur, la journaliste américaine Claire Berlinski nous apprend qu’interrogé sur la triade nucléaire, lanceurs terre/mer/air, Trump n’a pas compris de quoi on lui parlait. Plus tard, il a déclaré : « Nous allons lancer des frappes chirurgicales contre les bases de l’État islamique avec des missiles Trident. » Il ignorait donc que le Trident est armé d’ogives thermonucléaires 70 fois plus puissantes que la bombe larguée sur Nagasaki… Le même Trump affirme que le dérèglement climatique est une invention des Chinois visant à nuire à la compétitivité des États-Unis. « Tout le monde a le droit d’avoir ses propres opinions mais pas ses propres faits », disait Patrick Moynihan : le président de la première puissance mondiale moins que personne. Et l’on sait qu’appuyé sur ses fictions complotistes, Trump souhaite développer les énergies fossiles en levant le moratoire sur l’exploitation des mines de charbon.

Trump, ce n’est pas America first !, c’est America only ! Les questions : « À quoi servons-nous dans le monde ? », « Quel peut être notre rapport à l’humanité ? » ne font pas partie de son agenda. Le sentiment national dont il se fait le chantre, c’est l’égoïsme sacré. Et peu importe ce qui arrive aux autres et à la Terre ! Si les journalistes américains se sont trompés, s’ils n’ont pas su anticiper la victoire de Trump, ce n’est pas seulement parce qu’ils étaient imbus des certitudes arrogantes du politiquement correct, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas imaginer l’accession au pouvoir de ce gros con qui se vante de ne pas payer d’impôts et dont les towers défigurent les villes américaines. Et d’ailleurs, oublions un instant le politiquement correct. Imaginons simplement la peur et la honte qui se sont abattues sur les Américains que nous aimons. Leur seul espoir, notre seul espoir, c’est que Trump se métamorphose ou que le fonctionnement des institutions l’empêche de tenir ses promesses.

Mais pour prendre la mesure de l’événement, il faut creuser plus profond. Dans son livre Se distraire à en mourir, Neil Postman revient sur les débats qui ont opposé Abraham Lincoln et Stephen A. Douglas lors de la campagne présidentielle américaine de 1854. À Peoria, dans l’Illinois, « Douglas avait prononcé un discours qui avait duré trois heures et auquel il était entendu que Lincoln devait répondre. Quand vint le tour de Lincoln, celui-ci rappela à l’auditoire qu’il était cinq heures de l’après-midi, qu’il lui faudrait sans doute autant de temps qu’à Douglas, et qu’il était encore prévu au programme que Douglas puisse le réfuter. Il proposa donc aux membres de l’assistance de rentrer chez eux dîner et de revenir avec l’esprit frais pour les écouter à nouveau pendant quatre heures de plus. L’auditoire accepta volontiers et tout se passa comme Lincoln l’avait indiqué. » Voilà comment les choses se passaient dans l’Amérique de « l’esprit typographique ». La civilisation des écrans l’a tuée. Trump est le produit de cette grande mutation. Il est ce qui arrive quand l’esprit des jeux vidéo et de la téléréalité remplace le livre.

La victoire de François Fillon (27 novembre)

Lors d’un de ses discours de campagne, François Fillon a abordé sans faux-fuyant le sujet qui fâche : « Je veux parler de la place de l’islam dans la République française parce que je ne veux plus faire comme tous les autres hommes politiques et comme moi-même je l’ai fait pendant longtemps, je ne veux plus parler de « communautarisme ». Je ne veux plus dire qu’il faut lutter contre « les communautarismes ». Je l’ai dit comme tout le monde, mais en réalité, il n’y a pas de communautarisme protestant qui menace la République française, il n’y a pas de communautarisme juif qui menace la République française, il n’y a pas de communautarisme bouddhiste ou je ne sais quoi, il y a juste un problème, c’est le problème de l’intégration au sein de la communauté musulmane. Et c’est ce problème-là qui doit être réglé. C’est très important d’aborder la question comme cela parce que si on continue de l’aborder comme le font tous les autres, qu’est-ce qu’on va faire ? On va durcir ce qu’on appelle les lois de laïcité. Ça veut dire qu’on va réduire la liberté religieuse de millions de Français catholiques, protestants, juifs, etc., pour résoudre un problème qui ne les concerne pas et qui ne concerne que les musulmans. »


L’esprit de l’escalier – Alain Finkielkraut sur… par causeur

Beaucoup de gens très bien intentionnés mettent toutes les religions dans le même sac pour ne pas être accusés d’islamophobie. Fillon se refuse à ce chantage. Il ne noie pas le poisson ou, pour le dire d’une autre métaphore animalière, il appelle un chat un chat. Les électeurs de la primaire de la droite et du centre lui en ont su gré, comme ils lui ont été reconnaissants d’avoir tenu tête à Charline Vanhoenacker, le 27 octobre sur France 2. Souvenons-nous : une fois les débats terminés, celle qui tous les matins à huit heure moins cinq est chargée de nous mettre de bonne humeur, s’assied en face de l’invité et trace son portrait : « Une main de fer dans un pot de rillettes ! » dit-elle, entre autres saillies qui font s’esclaffer Léa Salamé et sourire David Pujadas. « La liturgie de la dérision suit son cours », comme l’a écrit Vincent Trémolet de Villers. Mais voici qu’au moment où la chronique s’achève, tout se dérègle. François Fillon ne joue pas le jeu. Au lieu de faire semblant de s’amuser, il fait part de ses réserves. Il explique qu’il serait plus cohérent que les chansonniers soient dans les théâtres et les hommes politiques dans les émissions politiques. Pas de mélange des genres ! Pas d’infotainment ! Et surtout pas de mise en jugement final des candidats à l’élection présidentielle par les amuseurs ! Beaucoup de téléspectateurs alors se sont sentis soulagés et vengés car ils n’en peuvent plus de vivre sous le joug du ricanement. Celui dont les sondages alors annonçaient la défaite a été l’interprète de cette révolte. Il a tenu tête aussi au syndicaliste guadeloupéen Elie Domota qui exigeait haineusement de lui qu’il fasse pénitence pour l’esclavage. De manière plus générale, le succès de François Fillon tient à sa capacité de respirer un autre air que l’air du temps et à sa volonté de ne pas rompre la longue chaîne des siècles au seul profit du nôtre.

Jouant à se faire peur, Libération a titré entre les deux tours : « Au secours, Jésus revient ! » C’est odieux et c’est idiot. Le parti catholique n’est pas en train de prendre ou de reprendre le pouvoir. François Fillon incarne l’idée que la France est, selon l’expression de Pierre Manent, un pays de « marque chrétienne » et qu’en dépit de l’évolution démographique, elle entend le rester. Nul retour du religieux donc, mais face à la proposition multiculturaliste, le désir de préserver et de perpétuer un patrimoine commun de signes et de symboles. À « l’identité heureuse », François Fillon a opposé le droit à la continuité historique et c’est l’une des principales raisons de sa victoire.

Il y a aussi l’économie et là, j’avoue ma perplexité. À propos de la réforme du Code du travail que veut engager François Fillon, Henri Guaino déclare : « Est-ce que c’est un progrès de laisser les salariés abandonnés au chantage de certains chefs d’entreprises, comme cela a été le cas, par exemple, chez Smart, où la direction a menacé de délocaliser si une proportion suffisante des salariés n’acceptait pas la modification de leurs contrats individuels pour travailler 37 heures payées 35 ? Va-t-on vers une société du chantage ? » Et Guaino voit dans la promesse filloniste de « casser la baraque » une menace pour la cohésion nationale. Je suis d’autant plus ébranlé par cet avertissement que je crois à la nécessité absolue de réguler le capitalisme. Le même jour, je lis sous la plume de François Huguenin que le chômage étant la première cause d’injustice sociale, il faut moins pressuriser les entreprises pour leur permettre de créer de la valeur et des emplois. Fillon, ajoute Huguenin, « a précisé que son souci était de reconstruire un modèle social français à bout de souffle pour plus de justice sociale. Sur la politique de la santé, il a très clairement manifesté son souci des plus pauvres ». L’argument me semble convaincant. Bref, j’ai tendance en cette matière à être d’accord avec le dernier qui parle. Cette malléabilité est la preuve accablante de mon incompétence.

Il est un point cependant sur lequel je m’autorise à émettre des réserves ou, en tout cas, à poser des questions : le rapport à Poutine. François Fillon veut lever les sanctions contre la Russie sans aucun préalable. Qu’en sera-t-il alors de l’indépendance et de l’intégrité de l’Ukraine ? Si d’aventure celui qui a maintenant de bonnes chances de devenir président de la République lit Causeur, je voudrais soumettre à sa réflexion ces quelques lignes de Françoise Thom : « La Russie n’a pas seulement à sortir du communisme, elle doit aussi se purger de l’habitude du messianisme et du refus de se penser en État-nation. C’est pourquoi l’émergence d’un État ukrainien solide et prospère au cœur de l’Europe est essentielle à la paix future du continent. Sans l’Ukraine, la Russie cessera d’être un empire et devra prendre congé de ses visées messianiques, dangereuses pour l’ordre européen et ruineuses pour elle. Débarrassée de son dévastateur rêve de puissance, elle pourra enfin se consacrer au développement de son économie et à la guérison de sa société. »[/access]

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Alain Finkielkraut est philosophe et écrivain. Dernier livre paru : "A la première personne" (Gallimard).

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