En septembre 2012, quelques mois après les attentats de Toulouse, un groupe d' »apprentis terroristes » lançait une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles, sans faire de victimes. Le romancier Morgan Sportès tire de cette attaque un livre-enquête (Les djihadistes aussi ont des peines de cœur, Fayard) qui met en lumière la misère intellectuelle et sociale de nos chers djihadistes. Qui vivent de nos allocs.
Causeur. Vous avez, comme dans Tout, tout de suite, écrit un roman à partir de dossiers policiers et judiciaires. En quoi Les djihadistes aussi ont des peines de cœur est-il un roman ?
Morgan Sportès. Comme Tout, tout de suite (2011) et L’Appât (1990), Les djihadistes aussi ont des peines de cœur est une non-fiction novel (Cf. Truman Capote). C’est-à-dire que j’ai mis en scène de façon romanesque des infos tirées d’interviews que j’ai faites de différents protagonistes, et d’un dossier d’instruction de 35 000 pages où se trouvent les scripts des écoutes téléphoniques, chose passionnante car on a affaire au langage direct des inculpés.
Pourquoi avoir choisi ce réseau de Cannes-Torcy qui somme toute a fait peu parler de lui, son attentat dans une épicerie de Sarcelles ayant seulement fait des dégâts matériels ? Est-il représentatif ? Est-il très différent de ceux qui ont réussi les attentats spectaculaires du 13-Novembre ou avons-nous simplement eu de la chance cette fois ?
Ma bande de pieds nickelés du terrorisme, qui a agi en septembre 2012 juste quelques mois après Mohammed Merah, a balancé une grenade de guerre dans une épicerie casher de Sarcelles. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu un massacre. La grenade en effet a roulé sous une enfilade de caddies qui ont amorti le choc. Une trace ADN a été trouvée sur la goupille. De sorte que la police a pu arrêter toute la bande (sauf trois individus partis en Syrie) juste avant qu’elle commette un autre attentat contre des militaires français de Draguignan (comme Merah, leur modèle). J’ajoute que deux des trois partis en Syrie sont revenus en France début 2014 pour commettre un attentat contre le carnaval de Nice (deux ans donc avant le massacre du 14 juillet 2016 dans cette même ville). On les a arrêtés in extremis.
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Ce qui frappe chez eux, c’est moins l’idéologie que la misère culturelle et sociale, le quasi-analphabétisme de certains. Avons-nous affaire à des tragédies de la bêtise ?
Oui la bêtise, l’aliénation y sont pour beaucoup. C’est ce qui a particulièrement frappé Edgar Morin à la lecture de mon livre. Ils vivent aussi dans une sorte de « pensée magique » qui eût intéressé Claude Lévi-Strauss qui voyait dans L’Appât à la fois un polar et une étude ethnographique. Ainsi, en prison, un de mes héros, Kevin, celui qui a jeté la grenade, boit-il de l’« eau coranisée » pour chasser les fantasmes homosexuels qui le hantent. C’est de l’eau où on a laissé macérer des bouts de papier où sont inscrites des sourates du Coran ! Ainsi naviguons-nous entre une pensée magique primitive, et la pensée magique de la société du spectacle contemporaine, ces jeunes étant nourris de séries télé et ne s’habillant que chez Nike ou Adidas…
On pense parfois que le djihadisme est aussi le produit de la misère sexuelle, mais la plupart de vos protagonistes ont une vie amoureuse assez remplie. Quel est le rôle des femmes dans leurs parcours ?
Les gauloises converties sont les pires. Elles engueulent leurs consœurs maghrébines parce qu’elles ne sont pas assez voilées. Il faut en effet porter gants et chaussettes pour qu’aucune once de chair ne soit visible. Une de ces souchiennes converties, niçoise, qui jadis allait à la plage en bikini, tombe amoureuse d’un caillera dealer de drogue qui vire au djihadisme. Après l’attentat contre l’épicerie casher, il se sauve en Syrie pour participer au djihad contre l’hérétique Bachar el-Assad. Héroïne stendhalo-islamique, elle le rejoindra là-bas sous les bombes pour se faire engrosser. Revenue en France, afin d’accoucher, elle repartira ensuite en Syrie folle de jalousie, car elle a appris qu’entre-temps son barbu chéri a pris deux autres épouses, une Sénégalaise et une Belge. Rendu fou par la guerre, il l’accueillera à coups de poings et de ceinturon…
Le chef de la bande, un certain Abbas, Antillais chrétien converti à l’islam, avait trois femmes, chacune étant mère d’un ou plusieurs enfants, car utiliser la pilule c’est « haram », péché. À sec en permanence il n’avait même pas de quoi payer des couches-culottes à sa progéniture.
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La plupart vivent largement d’allocations. Finançons-nous le djihad ?
RSA, allocs diverses, petits trafics. C’est une économie de survie. Ce sont les héros picaresques de notre temps. Le capitalisme sous sa forme actuelle crée un quart-monde de gens dont on n’a plus « besoin », car ils ne sont ni producteurs ni consommateurs. Ils croupissent dans les marges… Alain Badiou les évalue à 2 milliards d’individus sur terre. Que l’islam leur serve de bouée de sauvetage idéologique n’est pas étonnant. Organisations caritatives ou politiques, type Frères musulmans, en profitent pour semer leurs idées fanatiques…
Qu’avez-vous appris sur les djihadistes ? Et sur la France ?
J’ai passé trois ans à écrire ce livre, trois ans avec cette bande d’abrutis. C’est étouffant, déprimant. Flaubertien ! Car il n’y a dans cette affaire, semble-t-il, aucun espoir, aucune ouverture, pas un gramme d’oxygène. Qu’un enfermement… Au demeurant, si on me lit entre les lignes, on se pose des questions politiques dérangeantes. Arrêtés à leur retour de Syrie par la police française, mes djihadistes raconteront que les soldats turcs leur ont porté leurs valises, au passage de la frontière turco-syrienne, poussant le zèle jusqu’à leur appeler un taxi afin qu’ils se rendent plus vite à Idlib combattre Bachar. Nombre de puissances étrangères voulaient la peau du dictateur syrien. Un de mes djihadistes, engagé d’abord dans le groupe terroriste al-Nosra (qui faisait du « bon boulot », selon les termes d’un de nos ministres de l’époque), puis dans Daech, dira à sa mère a qui il téléphonait de Syrie à Nice : « Maman, maman les Américains nous bombardent, l’Arabie saoudite s’est retournée contre nous, et la France aussi. » C’était en septembre 2014. Un an avant le Bataclan… Ça en dit long sur ce qu’était alors la politique étrangère de la France, sur son machiavélisme de bazar. Avec l’afflux des migrants et le terrorisme, nous en recueillons sans doute les fruits, nous autres Européens. Moi au demeurant, je ne suis qu’un écrivain. Je témoigne. Je n’ai aucune leçon à donner. Aux hommes politiques d’agir. À cet égard je leur souhaite de bons cauchemars. Amen.