Dans le sud de l’Italie, dans la région des Pouilles et dans une ville nommée Monopoli, une partie de la population semble ne pas avoir apprécié la dernière sculpture d’étudiants en école des arts représentant une sirène. Trop de fesses, trop de seins, trop!
Ah, il est vrai que nous sommes loin de « la petite sirène » d’Andersen qui inspira une autre statue ; celle que l’on peut voir encore aujourd’hui à Copenhague. Autres temps, autres mœurs ? La sirène n’a jamais cessé d’évoluer. Chez les présocratiques, si mes souvenirs sont bons, ces dames étaient ailées et inspiraient aux hommes capables de les entendre la connaissance suprême. Quand sont-elles exactement tombées dans l’eau ? Je ne saurais le dire. Bien sûr, tout le monde connaît l’aventure d’Ulysse qui boucha les oreilles de ses rameurs avec les boules Quies de l’époque, mais qui, lui, ne résista pas au désir de les entendre tout en prenant soin de ne pas céder à la tentation et, pour ce faire se ficela à son mât.
Il y a quelques années, dans une librairie de Sceaux, la ville bien nommée, je trouvai un livre de Pascal Quignard, intitulé sobrement Boutès. J’ai cru que ce grand écrivain avait inventé ce personnage dont je n’avais jamais entendu parler, puis, je m’aperçus qu’il l’avait, en fait, exhumé. La postérité n’avait donc rien retenu du seul qui avait exécuté le grand saut, et c’est Pascal Quignard qui se chargea de le repêcher.
Il faut voir, du reste, certains tableaux du XIXème siècle qui montrent des marins complètement affolés et reculant d’effroi devant des sirènes échevelées accrochées au bateau. Je les ai toujours trouvés pathétiques et grotesques…
Mais revenons à cette sirène qui fait jaser à défaut de faire chanter pour cause de formes non conformes à la petite fille attendant mélancoliquement sur son rocher. En Italie, elle se trouve, et c’est aussi en Italie, mais plus au sud, en Sicile à vrai dire, que la sirène la plus captivante a été trouvée ; celle que nous devons à Lampédusa:
« Cette jeune fille, qui devait avoir seize ans, me souriait et ses lèvres pâles, à peine étirées, laissaient entrevoir de petites dents pointues et blanches, pareilles à celles des chiens. Rien de commun cependant avec les sourires que vous échangez, vous autres, toujours abâtardis par une expression accessoire, ironie ou bienveillance, pitié, cruauté ou dieu sait quoi ; ce sourire-là, n’exprimait que lui-même, c’est-à-dire une joie d’exister presque animale, une allégresse quasi divine. »
Je laisse le lecteur découvrir lui-même la suite de cette rencontre fabuleuse qui mènera le futur sénateur, encore jeune à l’époque, à faire le grand plongeon.
En attendant qu’il découvre l’homme qui sauta et la sirène sicilienne, ayons pitié de ceux qui, pourtant Italiens (et ma déception est grande) trouvent à redire aux femmes qui, telle la vague, souvent débordent…
Boutès de P. Quignard, aux éditions Galilée
Le professeur et la sirène de Lampedusa, collection Points aux éditions du Seuil