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Une résolution du Sénat ne fera pas beaucoup avancer la paix dans le Caucase

La France doit protéger sa réputation de pacificateur et négociateur de paix.


Une résolution du Sénat ne fera pas beaucoup avancer la paix dans le Caucase
Le Séant français, Palais du Luxembourg MASTAR/SIPA 00820330_000003

Au moment où Emmanuel Macron endosse le rôle de médiateur dans le conflit du Caucase, le Sénat français vote une résolution qui risque de compromettre la neutralité de la France.


Le 22 novembre, le Sénat a voté à 295 contre 1 pour une résolution appelant le gouvernement à sanctionner l’Azerbaïdjan pour agression envers l’Arménie et le Haut Karabakh. Étant donné que le président Macron est impliqué dans la direction d’une initiative UE-États-Unis pour la médiation de ce conflit qui dure depuis trois décennies, une telle attitude est au mieux futile et au pire imprudente.

L’histoire du conflit est longue et complexe. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, des séparatistes arméniens ont déclaré l’indépendance du territoire montagneux du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan. S’ensuit une guerre entre les deux pays qui laisse l’Arménie contrôler un cinquième du territoire souverain de son voisin azerbaïdjanais. Un cessez-le-feu conclu en 1994 a gelé le conflit jusqu’en 2020, date à laquelle un court conflit a éclaté, au cours duquel Bakou a reconquis une grande partie de ses terres perdues. Une autre trêve a été négociée par la Russie, la puissance régionale, mais elle ne s’est pas encore transformée en un accord de paix.

Emmanuel Macron a été à l’avant-garde des efforts internationaux pour changer cette situation. Mais pour faire de la médiation, l’impartialité est essentielle. Sinon, il est impossible de conserver la confiance des deux partenaires et de les amener à faire des concessions difficiles en vue de la paix. C’est pourquoi Macron a refusé une motion similaire du Sénat après le conflit de 2020, qui demandait la reconnaissance de l’Artsakh – ce que les Arméniens appellent le Haut-Karabakh – comme un État indépendant. C’est pourquoi il rejettera probablement de la même manière la récente résolution.

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Alors, quel est le but du Sénat ? Soit le but est d’embarrasser Macron, soit d’une certaine manière d’essayer de lui lier les mains dans les négociations. Mais cela risque de provoquer l’indignation à Bakou, à l’opposé de ce qui est nécessaire pour faire avancer les discussions : ils demanderont à juste titre où est la détermination de la France pendant les 30 ans d’occupation arménienne illégale. Plus important encore, elle peut être perçue à Bakou comme une position sous-jacente. En effet, le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères a déjà réagi à la résolution, déclarant qu’elle exposait « la position politique unilatérale de la France, pays qui a précédemment exprimé son intention de contribuer au processus de paix ».

Globalement, elle menace d’effondrer la confiance indispensable à un règlement. Si l’Azerbaïdjan ne croit pas que le médiateur soit sincère dans sa volonté de parvenir à un règlement équilibré et conforme à ses intérêts, il pourrait tergiverser ou, pire, se retirer des négociations. Cela réduirait à néant des mois de travail qui ont porté leurs fruits. Les parties avaient convenu d’une mission de surveillance de l’UE – qui aide beaucoup financièrement l’Arménie – sur leur frontière commune après les hostilités de septembre, dont l’Azerbaïdjan et l’Arménie se rejettent mutuellement la responsabilité. La délimitation et la démarcation des frontières revêtaient une nouvelle urgence. 

Bien qu’elles soient habillées dans le langage de l’intérêt pour les Arméniens, de telles initiatives qui nuisent à la paix ne font que blesser les Arméniens qui se trouvent encore dans le pays – par opposition à ceux de la diaspora, comme l’importante communauté française. L’Arménie a plus à perdre si un accord n’est pas trouvé. La paix est une condition préalable à la renormalisation des relations avec l’Azerbaïdjan et son allié la Turquie.  Sans cela, l’Arménie restera isolée au niveau régional et dépendante de son protecteur traditionnel, la Russie, qui est en train de sombrer.

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La résolution du Sénat français a également réaffirmé ses appels à reconnaître l’Artsakh. Pourtant, cela est en décalage avec la position du gouvernement arménien lui-même. Le Premier ministre Nikol Pashinyan a reconnu que l’Arménie devra renoncer à ses revendications sur le territoire souverain de l’Azerbaïdjan si elle souhaite la paix. En outre, les rassemblements de l’opposition contre une telle concession n’ont pas réussi à rassembler autant de monde que par le passé. De nombreux jeunes Arméniens ne comprennent pas pourquoi leur pays devrait continuer à perdre des vies, de l’argent ou du capital diplomatique pour défendre des revendications sur le territoire d’un autre pays souverain, alors qu’aucune autre nation au monde ne les reconnaît comme légitimes. Dans le sillage de l’Ukraine, qui a durci la primauté de l’intégrité territoriale dans les relations internationales, de telles batailles semblent de plus en plus futiles et éloignées de leurs priorités.

La résolution appelle aussi à une interdiction des importations de gaz azerbaïdjanais. Étant donné que l’Azerbaïdjan est essentiel à la stratégie de l’UE pour se sevrer de l’énergie russe, ses partenaires dans le bloc regarderont la Chambre haute avec perplexité, alors que l’Europe se prépare à un hiver difficile. Et pour quoi faire ? Pour que l’Arménie puisse conserver une revendication illégale sur le territoire internationalement reconnu de l’Azerbaïdjan.

Bien que de telles résolutions peuvent plaire à la diaspora arménienne de la France, ses vraies conséquences sont plus pernicieuses. Paradoxalement, en faisant des déclarations unilatérales sur l’agression, elle menace la fondation même sur laquelle la paix doit être forgée. Après le vote du Sénat, le président azerbaïdjanais refuse d’assister aux pourparlers de paix en présence du président Macron.  Cela nuit à la réputation de la France en tant que pacificateur et négociateur de paix, et embarrasse le président et le pays. Le Sénat a-t-il essayé de court-circuiter l’Élysée ? Le risque, c’est que la France ne soit pas du tout à la table des négociations.

Oui, il faut défendre l’Arménie mais avec réalisme et lucidité.

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est directeur de l’IREF (Institut de Recherches Economiques et Fiscales). Dernier ouvrage : "Les donneurs de leçons" (Editions du Rocher)

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