L’Iran vient de lancer sa première centrale nucléaire, sans susciter trop de vagues. En revanche, la lapidation programmée de Sakineh enflamme le monde civilisé. À juste titre d’ailleurs. C’est que tout le monde convient qu’il il s’agit d’un procédé parmi les plus barbares connu dès la Grèce antique, cité dans l’Ancien Testament et le Talmud, ainsi que dans le Nouveau (« Que celui d’entre vous qui est sans péché lui lance la première pierre »).
Certains courants radicaux au sein de l’islam le prônent encore, en accord avec les hadiths, la tradition islamique (et non le Coran où il n’apparaît pas). Plutôt que de se livrer à une attaque théologique, mieux vaut relater les faits, sèchement, comme l’on dit dans le métier.
Sakineh Mohammadi Ashtiani est une mère de famille de 43 ans. Elle fait partie de la longue cohorte d’Iraniens condamnés à mort par le régime et qui croupissent en prison, dans l’attente de leur exécution. Pour la plupart, ils seront pendus. Mais pour elle, comme pour une vingtaine de codétenus, ce sera, un jour, la lapidation. À la date fixée, avant le lever du soleil, elle sera conduite hors de la cellule qu’elle partage avec 60 autres femmes, ligotée les mains dans le dos dans un drap, son futur linceul, puis enterrée à hauteur de la poitrine, le visage tourné vers ses bourreaux. Un juge donnera alors l’ordre d’appliquer la sentence et les pierres commenceront à pleuvoir sur la jeune femme, jusqu’à la mort.
Motif invoqué par l’accusation depuis son incarcération en 2006 : Sakineh est une femme adultère ayant entretenu des « relations illégales » avec deux hommes, soupçonnée de complicité dans le meurtre de son mari, un homme dont, au regard de la loi de son pays, elle n’avait pas le droit de divorcer. Deux des cinq juges la considèrent innocente.
Le cas de Sakineh n’est pas unique
Sakineh a eu, si l’on peut dire, la « chance » que son sort soit grandement médiatisé. Grâce notamment au courage de ses enfants et de ses avocats qui se cachent aujourd’hui, par peur des représailles du régime de Téhéran. Ce sont eux qui ont dévoilé toute l’histoire par le biais d’une lettre déchirante adressée à la communauté internationale. Ils y décrivent notamment les 99 coups de fouet qu’elle s’est vu infliger dans sa prison, à Tabriz, devant son fils qui refusait de l’abandonner à son calvaire. Cette lettre insiste sur les aveux forcés arrachés à la jeune femme pour lui faire avouer l’adultère et la complicité de meurtre. À ce texte, transmis sous le manteau avant d’être rendu public, ils avaient réussi la prouesse de joindre une photo de Sakineh, mettant ainsi pour la première fois un visage humain, même encadré d’un voile noir, sur le destin de cette femme anonyme depuis sa condamnation en 2006. C’est cette même photo que l’on a vu brandie lors des manifestations de ces jours-ci dans plusieurs pays du monde, notamment en France samedi dernier.
L’autre « chance » de la jeune femme est d’être devenue le symbole de l’archaïsme et de la cruauté d’un régime qui pourrit la vie de la communauté internationale en raison de ses relations présumées avec des mouvements terroristes, des diatribes « antisionistes » de son président, de la répression de son opposition intérieure et de ses ambitions nucléaires.
Les aveux de Sakineh réitérés dans une interview diffusée le 12 août par la télévision iranienne n’a fait que renforcer le mouvement de protestation dans le monde. Le visage entièrement recouvert d’un voile foncé, s’exprimant en azéri, avec des sous-titres en farsi, elle a reconnu avoir participé au meurtre de son mari, chef d’accusation nouveau probablement introduit par les autorités, mal à l’aise face à la protestation planétaire.
Car l’affaire mobilise. Des syndicats français, pourtant très occupés à nous préparer une rentrée agitée, prennent le temps de s’insurger contre le sort réservé à la malheureuse. Des acteurs, Redford, de Niro, Binoche, des intellectuels donnent de la voix. Le président Sarkozy a été jusqu’à brandir la menace de sanctions contre le régime iranien au cas où Sakineh serait exécutée. Du coup, l’embarras du régime grandit. En juillet, Téhéran a été contraint de faire marche arrière en annonçant l’ajournement temporaire de l’exécution de la jeune femme. Le dossier « est toujours en cours d’examen et rien n’a été décidé pour l’instant », vient d’indiquer un responsable iranien devant une commission des droits de l’Homme de l’ONU à Genève.
Le cas de Sakineh n’est pas unique. En Afghanistan, des juges talibans ont ordonné la lapidation d’une femme de 23 ans et de son amant, un homme marié de 28 ans. Ils ont été exécutés le 16 août à coups de pierres. En Somalie, un tribunal a condamné en septembre 2008 à la lapidation une fillette de 13 ans, jeune mariée. Son crime : elle a été victime d’un viol collectif. Et elle a raconté son calvaire à la police. Condamnée pour adultère, elle a été exécutée le 27 octobre de la même année par une foule déchainée, armée de pierres.
La mobilisation pour Sakineh est vitale, pour elle mais aussi pour d’autres condamnés en Iran et dans d’autres pays où la charia est en vigueur. De cette mobilisation dépend le comportement qu’adoptera l’Iran vis-à-vis du reste du monde.
En septembre, le président Ahmadinejad doit s’adresser à l’Assemblée générale des Nations unies.
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