C’est avec un plaisir extrême que j’ai pris connaissance de la construction d’une mosquée à Varsovie. Non pas que je sois résolument islamophile. Simplement, jusqu’à présent nous n’avons pas eu, en Pologne, de problème avec les musulmans ou avec l’islam. Cela remettait en question notre appartenance à l’Occident étant donné que l’Occident a un problème avec l’islam. Comment analyser ce refus, que j’ose qualifier d’ostentatoire, des djihadistes de commettre le moindre attentat sur le sol polonais, alors que nous avons tout de même été la troisième force d’occupation en Irak ? Ne savent-ils pas que James Pavitt, l’un des chefs des opérations secrètes de la CIA, a déclaré que la Pologne était le « 51e Etat américain » ? Comment, par ailleurs, expliquer que la masse des immigrants originaires des pays musulmans snobent notre terre polonaise ? Certes, notre système de sécurité sociale est quasi nul, mais notre passeport a désormais une certaine valeur depuis que nous avons adhéré à l’Union européenne.
Rien à faire, pourtant. Aussi bien les djihadistes que les musulmans modérés s’obstinaient à nous bouder. Selon Agata Skowron, islamologue à l’Université de Varsovie, « il est toujours possible de passer toute une vie en Pologne sans y croiser un seul musulman ; la population musulmane étant estimée à quelque 0,06 – 0,08% de la population polonaise ». [access capability= »lire_inedits »]
Cela devenait presque gênant vis-à-vis de nos partenaires européens et américain et quasi insultant pour nous-mêmes, puisque cela revenait à nous faire savoir que nous n’étions pas dignes d’un vrai mépris, ne parlons même pas de haine ou de désir. En plus, cela nous excluait catégoriquement du débat dans lequel est plongé le monde occidental au sujet de l’islam : par son indifférence à notre égard, le monde musulman nous condamnait à demeurer au XXe siècle. Nous aussi, les Polonais, avons des intégristes. Sauf que nos intégristes se recrutent parmi les catholiques, ce qu’une partie des lecteurs de Causeur semble avoir du mal à admettre.
Alors qu’en Occident, même les actrices ont des idées fort originales sur le 11-Septembre, chez nous, pas d’opinions excentriques sur l’islam, pas de dérapages médiatiques de personnalités sur la délinquance des mineurs d’origine musulmane, pas d’œuvres cinématographiques controversées.
Je me suis donc trouvée dans une situation très délicate quand j’ai appris que le numéro 28 de Causeur serait consacré à l’islam. Que faire ? Comment trouver un problème là où il n’y en pas ? De surcroît, dire qu’il n’y en a pas revenait à trahir un secret d’Etat, à reconnaître que la Pologne ne fait pas partie de l’Occident. Plutôt mourir ! J’ai passé un coup de fil à un copain journaliste : « Tu n’es pas au courant, alors ? Mais on a un grand problème avec une mosquée en train de se construire place des Déportés en Sibérie ! » Allah Akbar !
Pacifistes, démocrates, intégrés : les musulmans polonais sont des citoyens-modèles
Certes, une microscopique communauté tatare vit en Pologne depuis plus de cinq siècles. Le problème est que nous n’avons jamais eu de problèmes avec nos Tatars. Ils se contentent de deux mosquées datant du XVIIIe siècle et d’une troisième construite au début des années 1990, à deux pas de la villa de Lech Walesa à Gdansk. À qui donc devait-on l’ingénieuse initiative de la construction d’une mosquée place des Déportés en Sibérie ?
Vous n’allez pas être déçus… Car nous la devons à un personnage hautement problématique (enfin, enfin, on y arrive !) : Samir Ismail. Arrivé en Pologne en 1986, du Koweït ou de Palestine selon les sources, pour y étudier la médecine, il a exercé la pédiatrie dans un hôpital de la capitale. Un parcours typique pour les musulmans venus en Pologne dans les années 1980, qui y sont restés et ont su se faire oublier. Pacifiques, démocrates et intégrés, ce sont des citoyens modèles, créateurs d’emplois, entrepreneurs ou spécialistes hautement qualifiés.
Le problème, ce n’est pas le parcours exemplaire de M. Ismail, mais ses fréquentations. Si les noms de Walid Abu Shawarib et d’Ibrahim El-Zayat ne vous disent rien, c’est que vous ne lisez pas attentivement la presse. Il semble qu’Abu Shawarib ne soit pas seulement l’honnête propriétaire d’une agence de voyage à Berlin, mais aussi le responsable du fundraising pour la Société islamique en Allemagne (IGD) dont El-Zayat assure la présidence. Il semble que l’argent recueilli en Allemagne finance l’internationale islamiste. Et le Parquet de Munich cherche à prouver qu’Abu Shawarib est le chef du Hamas en Allemagne alors qu’El-Zayat y représenterait les Frères musulmans. De son côté, notre exemplaire citoyen polonais, M. Ismail, réfute toute proximité avec Abu Shawarib, en dépit du fait que tous deux appartenaient au même groupe de travail de la Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE). Le doute persiste d’autant plus que la Ligue musulmane, fondée par M. Ismail en 2003, prétend préserver l’anonymat du bienfaiteur qui a rendu possible la réalisation du projet de construction d’une mosquée à Varsovie. « Si le moindre lien avait été trouvé entre la Ligue musulmane et des personnes qui figurent sur la liste noire, nous aurions été d’ores et déjà arrêtés », a voulu rassurer M. Ismail dans son polonais impeccable.
« Nous avions tant à dire sur l’islam »
Un don du ciel, ce M. Ismail ! Sans lui nous en serions réduits à compter les cadavres dans le placard national pour animer le débat public, alors que nous avions tant à dire sur l’islam. Les forums sur Internet explosent, les pétitions circulent, les comités s’organisent, les manifestations démarrent, les forces de la réaction affrontent les forces du progrès. Nous, les Polonais, nous avons désormais deux blocs qui se font face au sujet de l’islam : d’un côté les Réacs, de l’autre les Évolués.
Les Réacs se divisent en quatre catégories. Les Polonais-patriotes qui considèrent que la Pologne donne déjà suffisamment aux youpins pour se dispenser de toute charité au profit du lobby islamiste ; les Polonais européanisés qui se réfèrent à la communauté de destin pour dénoncer l’islamisation de l’Europe ; les Polonais-islamologues qui, versets du Coran à l’appui, démontrent la violence intrinsèque de la religion de Mahomet ; enfin les Polonais-féministes qui se révoltent à l’idée que les droits des femmes soient toujours violés dans les pays musulmans. « L’islam, c’est une prison pour les femmes. Si on se laisse faire, bientôt on ne verra plus de nanas en mini-jupe dans la rue, mais des sortes de tentes à deux pattes ! », peut-on lire sur un forum d’opposants à la mosquée.
Quant aux Évolués, on en distingue trois espèces. Les légistes, qui se réfèrent aux articles de la Constitution polonaise et de la Convention des droits de l’homme pour rappeler que la liberté de culte et de religion est de rigueur dans les démocraties occidentales ; les musulmans de Londres qui, par le biais d’Internet, bombardent l’espace virtuel de messages « Stop the war on islam ! » ; et, last but not least, les Juifs polonais, lesquels ont publié une lettre ouverte dans un grand quotidien pour dire que « l’opposition actuelle des habitants de Varsovie au projet de construction de la mosquée évoque la période des pogroms antijuifs d’il y a cent ans ou les années sombres de l’émergence de l’empire d’Hitler ».
La mosquée de la place des Déportés en Sibérie sera inaugurée cet automne. Son minaret, qui ressemble, à en juger d’après les projets architecturaux, à la tête d’un missile nucléaire, s’élèvera à une hauteur de 18 mètres. « La mosquée et le centre de la culture arabe qui lui sera adjoint ont pour objectif de présenter une image modérée de l’islam et de jeter un pont de respect, de compréhension et de dialogue entre le monde musulman et la société polonaise », a affirmé M. Ismail. Des journées de dialogue avec le christianisme sont déjà inscrites au programme.
En 1927, accueillant l’écrivain Chesterton à la gare de Varsovie, un officier polonais affirmait : « L’unique ami de notre pays, c’est Dieu. » Pour sortir du XXe siècle, il nous faut moderniser le Dieu des Polonais afin qu’Il dialogue avec l’islam, le bouddhisme et même avec la scientologie, si cela nous aide à réduire la distance qui nous sépare des authentiques Occidentaux. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la mosquée de M. Ismail nous ouvre une porte sur l’Occident. Nous la franchirons les yeux fermés. Et « notre ami Dieu » la franchira avec nous. Il n’aura qu’à baisser un peu la tête pour passer. Inch’Allah ![/access]
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