Baroud d’honneur or not baroud d’honneur ? That is indubitablement la question. Bon, OK, il y avait du monde dans la rue. Nettement plus que pour les précédentes promenades rituelles sur les retraites. Et pour cause: cette fois, il y avait vraiment de la colère dans l’air. Et portée par des coléreux qui sortaient en masse du casting standard des manifestants. Comme aux beaux jours de l’avant-Crise mondiale, comme le 29 janvier 2009, on a vu le petit peuple des salariés d’en bas se réapproprier le trajet République-Nation, trop souvent chasse gardée des bonzes syndicaux et de leurs obligés.
Contrat rempli, l’honneur des confédérations est donc sauf. Personne ne pourra prétendre qu’elles ont laissé passer le projet Woerth comme une lettre à la Poste d’avant son introduction au CAC 40. Ouf ! La gauche politique, elle aussi, sauve ses fesses. Présents en masse dans les cortèges, socialistes, communistes et mélenchonistes ont fait le job. On ne pourra pas dire qu’ils ont loupé le coche. Sauf que si.
L’efficacité du bulldozer gouvernemental
Car après ça, on fait quoi? Peut-on sérieusement croire à la proposition de Bernard Thibault, de « maintenir la pression pendant tout l’été » ? Ah oui, et comment ça ? Des manifs en short à Saint-Trop’ ? Des sit-in sous parapluie au Guilvinec ? Des merguez-parties citoyennes à Gérardmer ? Des ébats participatifs au Cap d’Agde?
Un peu léger comme perspective face au bulldozer gouvernemental. Soyons bon joueurs : on ne s’est pas privé d’asticoter ici les communicants de l’UMP et de l’Elysée pour leur gestion lamentable de l’affaire de l’EPAD ou de la nomination de Proglio à la tête d’EDF. Alors quand les mêmes se retroussent les manches, triturent leurs cervelles et font des miracles, on ne va pas contester le point. Scénarios-catastrophes fournis clés en main par des experts-au-dessus-de-tout-soupçon. Sondages maquillés comme une Porsche 911 d’occasion à 5 000 euros. Tartufferie de la réforme du régime des retraites parlementaires. Pâté d’alouette sur la mise à contribution des grandes fortunes. Complaisance récurrente des grands médias, y compris de gauche, quant à l’inéluctabilité de l’allongement de la durée de travail: à Libé ou au Monde, on adore compatir au sort des nouveaux pauvres, mais on n’a jamais assez de mépris pour les salariés qui défendent leurs acquis, pardon leurs privilèges… Le tout aura culminé avec la question à deux balles posée en chœur par tous les journaux à la veille de l’annonce du projet gouvernemental : « Est-ce que vous préférez 62 ans, comme le souhaite Sarkozy, ou plutôt 63, comme le préconise Fillon ? ». Autant nous demander si on préfère la grippe aviaire au choléra, Madame de Fontenay à Zahia, ou Domenech à Anelka… Mais ce choix ubuesque, force est de constater qu’il est rentré comme papa dans maman. Dont acte. C’est de façon magistrale et finaude que la droite aura traité ce feuilleton des retraites.
En face de ça, la gauche et les syndicats ne cessent depuis un an de se prendre les pieds dans le tapis. Faites le test autour de vous : personne n’est capable de résumer leurs propositions alternatives en quelques mots simples (tel le credo d’en face: retraite à 62 ans pour sauver le système). Faute d’avoir eu les coucougnettes de mettre à nu point par point la vulgate Essec-HEC-Sup de Co qui sous-tend la réforme (ce qui se comprend aisément, ce corpus nunucho-libéral est aussi de fond de commerce de DSK), nos degauche sont à poil. Résultat, hormis le maintien du statu quo, que l’opinion, et pas seulement celle qui vote UMP, juge intenable, on n’a rien à proposer, si ce n’est des garde-fous immédiatement récupérés et vidés de leur substance par le gouvernement (pénibilité pour de rire, taxounette sur les revenus du capital).
À défaut de savoir ce qu’on veut, il faut dire clairement ce qu’on ne veut pas
Est-ce à dire que toute cette mobilisation, à l’image de celle de janvier 2009 débouchera forcément sur le grand nulle part ? Pas obligé. À condition que les opposants s’opposent et cessent de se la jouer responsables et proposants. La seule issue, désormais, c’est de capitaliser et faire exploser le mécontentement, l’hostilité bien réelle des salariés à la réforme. Une excellente consœur suggérait mercredi soir chez Hondelatte sur RTL que plutôt qu’un énième slogan alambiqué, les syndicats devraient avoir un seul mot d’ordre inscrit sur les banderoles de tête des cortèges : Ré-fé-ren-dum ! C’est évidemment la voix du bon sens, et la seule façon pour la gauche de ne pas désespérer ses électeurs naturels, de ne pas leur prouver qu’ils auront bien raison de faire abstentionnistes en 2012.
Arrêtons de dire ce qu’on veut, ça ne le fait manifestement pas, mais disons fort et clair ce dont ne veut pas. Lors de sa campagne électorale, le président s’est formellement engagé à ne pas toucher à l’âge légal du départ en retraite. Il est revenu sur ses engagements, ce qui n’est pas très cool, mais qui, honnêtement, n’est pas un crime de haute trahison. Il n’est pas interdit de changer d’avis, mais alors, il est juste réglo de nous demander notre avis. Quand chez Canal Plus, chez Darty ou chez Orange, les termes du contrat changent en cours d’engagement, et bien on vous demande d’accepter ou de refuser les nouvelles clauses. Chiche, Nicolas ?
Nous voulons un référendum. On veut qu’on nous pose cette question toute bête : êtes-vous vous favorable, oui ou non au projet de loi sur les retraites? Et on veut juste avoir le droit de pouvoir dire non, non et non ! Ce n’est certes pas un programme très sophistiqué, c’est pas fouillé comme du Piketty ou sophistiqué comme du Badiou, mais purée, c’est facile à comprendre, populiste en diable et parole, le T-shirt « J’veux un référendum! », ça va faire un malheur sur les plages!
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