Dans un article récent, Aurélien Marq nous propose une synthèse limpide et factuelle des éléments qui reviennent régulièrement dans l’actualité, sur l’épineuse question du voile des accompagnatrices de sorties scolaires. Avec franchise, l’auteur se refuse à utiliser l’expression générique et politiquement correcte de « signes religieux », car nul n’est plus dupe, l’essentiel des frictions concernent ce marqueur de soumission de la femme que deux tiers des français souhaitent voir disparaître des contextes d’enseignement: le voile.
À la lumière de ce que je sais des pratiques du terrain, je me propose de prolonger son exposé sur le passé et le présent de ce sujet, par une réflexion sur le futur empli d’espoir que nous offre le vote du Sénat en faveur d’une loi qui étendrait l’interdiction de port de signes religieux aux accompagnateurs de sorties.
Une loi emblématique de nos valeurs, incarnant le retour du courage politique
J’ai, à plusieurs reprises, rapporté les difficultés des directeurs et professeurs du premier degré face à cette question. J’ai déjà souligné les ambiguïtés de Jean-Michel Blanquer, ministre qui parle beaucoup, partout et avec aplomb, mais dont la parole s’incarne assez peu en actions concrètes au niveau du terrain. Ainsi, son Conseil des sages de la laïcité, annoncé à grand bruit en 2018 et rédacteur dès cette même année d’un vademecum juridique censé être diffusé efficacement auprès des enseignants, ne vient-il d’être créé règlementairement seulement récemment par un arrêté du 19 février 2021?
L’islamogauchisme n’épargne pas les rangs des enseignants
Face à cette posture au verbe haut et au texte frileux en matière de laïcité, la volonté sénatoriale de produire une loi ne peut-être que formidablement réjouissante. Ce choix a l’inestimable valeur de faire remonter la responsabilité et le courage au niveau où ils doivent être, celui des dirigeants politiques et du législateur car, actuellement, c’est uniquement au portail des écoles qu’ils s’incarnent. Si l’affaire suit un chemin favorable, le vote d’un texte clair à l’Assemblée montrera sa validation par la Nation et la fermeté dont il faudra faire preuve face aux inévitables manifestations, attestera de la volonté de l’État. Enfin, cela fera suffisamment de bruit pour que, réellement, nul ne soit plus censé ignorer la loi.
Un premier pas nécessaire mais en aucun cas suffisant
Une telle évolution remplacera, par un texte clair, la subtilité du droit actuel qui autorise le port du voile par une mère simple accompagnatrice mais l’interdit si elle est en charge d’une activité pédagogique telle que l’aide à la réalisation d’un atelier conçu par l’enseignant ou la lecture en petit groupe d’un album lors d’une sortie à la bibliothèque. Cela suffira-t-il ? La simple discussion avec une dizaine d’enseignants choisis au hasard suffit à comprendre que non.
À lire aussi: Loi séparatisme: la gauche n’apprendra-t-elle donc jamais?
En effet, l’observation des pratiques actuelles en école primaire nous montre que le devoir de ne pas confier un rôle pédagogique à une maman voilée n’est pas appliqué par tous. Si l’ignorance de cette obligation est parfois évoquée pour justifier ce fait, c’est le plus souvent un choix conscient dont les motivations sont variées. Cela peut provenir d’une totale indifférence à la question de la laïcité: les derniers hussards sont en train de disparaître et la culture qu’ils transmettaient passivement par effet de masse ne joue plus. L’idéologie pèse également, l’islamogauchisme n’épargnant pas les rangs des enseignants. Cependant, c’est le plus souvent par volonté de faire vivre les valeurs de tolérance, de fraternité et d’accueil que naît ce renoncement à l’application de la règle. Cela d’autant plus que la qualité de la « relation-parents » fait désormais partie des critères d’évaluation explicites par la hiérarchie.
L’absence de témoignages de professeurs ayant osé préciser aux parents la possibilité d’ôter son voile pour accompagner la classe en dit long, tout autant que celle de mères témoignant qu’elles sont prêtes à respecter les règles pour le bien-être de leurs enfants et la leçon d’adaptation au cadre scolaire par l’exemple que cela leur donnerait. L’autocensure des uns et la rigidité des autres attestent d’un mal profond qu’aucun contrôle hiérarchique ne se donne le moyen de repérer. Face à ces manquements, on comprend alors le confort pour Jean-Michel Blanquer offert par l’explication simpliste d’un manque de formation. À problème simple, réponse simple.
La solution: former les enseignants?
S’ajoute à cela, l’avantage collatéral de museler le tenace et intègre Jean-Pierre Obin, en lui confiant une mission formation dont les conseils seront autant suivis que ceux formulés pour les mathématiques par celle de Cédric Villani. Il y a fort à parier que les comptables de la rue de Grenelle se limiteront à valider quelque formation en ligne aussi soporifique qu’économique, qui ne pénètrera pas plus le cerveau des enseignants qu’un coulis de framboise ne s’infiltre spontanément dans une faisselle. La multiplication de ces trois heures d’écran obligatoires par le nombre d’enseignants permettra cependant d’aligner un nombre impressionnant d’heures de formation, attestant de l’importance de l’investissement ministériel.
À lire aussi: L’arabe contre le séparatisme
Tout espoir est-il donc perdu ? Non, mais les moyens mis à disposition pour faire évoluer les pratiques doivent s’affranchir des règles de compression des coûts de formation et de la lâcheté du miroir aux alouettes des communications ministérielles. D’une part, le salut ne peut passer que par l’humain et la libération de la parole dans des groupes animés par des experts, en « présentiel ». D’autre part, il faut traquer les injonctions paradoxales du ministère, telle que celle d’appliquer les règles de la laïcité tout en assurant la satisfaction-clientèle de chaque parent. Enfin, il est indispensable de recentrer le travail des enseignants sur la seule mission qui devrait être la leur: instruire les élèves et non éduquer leurs géniteurs.
C’est une telle politique extrêmement volontariste et explicite qui est requise. Si nous nous satisfaisons de la simple adoption d’une loi, aussi courageuse et porteuse d’espoir soit-elle, nous ne serons qu’un public applaudissant le la donné par le premier violon mais subissant passivement la cacophonie d’un philharmonique mal accordé.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !