Pour un Français de culture classique, autant dire d’un certain âge, le nouveau livre de Jean Sévillia, Historiquement incorrect, fait naître, comme Historiquement correct avant lui (assez semblable de forme et de méthode, mais qui traitait de thèmes autres, quoique voisins), un sentiment très curieux : pareil lecteur, au moins sur les sujets qu’il connaît un peu, a l’impression de rencontrer à chaque ligne l’évidence, et qui plus est l’évidence familière, mais parée d’un exotisme inouï par l’énormité du babil sociologico-médiatique qui l’a recouverte depuis trente ou quarante ans, et que notre auteur fore avec une tranquille assurance. Ce n’est pas pour me vanter, comme dirait Philippe Meyer, mais il n’y a que la bathmologie (cf. Barthes) qui puisse rendre compte de ce phénomène étrange : vrai, faux, et puis vrai de nouveau, dans une lumière changée.
Une phrase entre cent, choisie pour sa courtesse : « C’est au Moyen Âge qu’émerge le sentiment national français. » Tout habitué de nos Lettres en est bien convaincu. Mais le babil a pesé par là : Révolution, Jules Ferry, tranchées, quand ce n’est pas Front populaire ou diversitude.[access capability= »lire_inedits »] Sévillia : « au Moyen Âge ». Ça dégage fameusement les bronches.
Mais pour ce qui est de la page en regard, Hugues Capet fut couronné à Noyon, j’y étais, pas à Reims. Cela dit, si le livre porte la trace de la déculturation ambiante, ce n’est certes pas du fait de son auteur, sinon de ses attentions à l’endroit de ses lecteurs, auxquels il faut un peu tout expliquer. Du coup, il y a quelques problèmes de zoom, fréquents chez les bathmologues sans le savoir, ou qui ne sont pas Roland Barthes. Temps long (trois ou quatre siècles en deux pages : en 711, en 720, en 725, en 732 − horresco referens…). Temps court (ce sont tout de même les gros plans, quand le sujet fait du sur-place, qui nous valent les meilleurs moments).
Dans le dernier chapitre, très attendu, « La France et l’islam : une longue confrontation », la dernière sous-section est imprudemment intitulée : « Nous sommes à la croisée des chemins ». C’est toi qui l’a nommée. À ce carrefour, nous rencontrons sans surprise Alain Besançon : « Cet événement [le changement de peuple, en somme] serait l’un des plus graves de notre histoire, ou plutôt c’est notre histoire elle-même qui entrerait en mutation. » Jean Sévillia entrevoit trois issues. Toutes les trois ne sont pas également attrayantes, mais la dernière (c’est la toute fin du livre) est d’une douceur stupéfiante, dans son rayonnement de vitrail (chapelle saint Charles de Foucauld) : « Il reste une troisième voie que bien peu osent évoquer, tant elle suppose de révisions déchirantes et de ruptures avec l’air du temps : les musulmans pourraient être évangélisés. »
Allez-y d’abord, je vous suis.[/access]
Jean Sévillia, Historiquement incorrect (Fayard).
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !