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Une grande gueule made in France: Zohra Bitan


Une grande gueule made in France: Zohra Bitan
Zohra Bitan au rassemblement des Femmes. des forces de l'ordre en colère

Zohra Bitan est bien connue des auditeurs et téléspectateurs français depuis qu’elle fait partie des “Grandes Gueules” sur RMC. Liliane Messika vient de lui consacrer une biographie. Notre chroniqueur Pierre Lurçat nous présente le livre et s’entretient avec son auteur.


Au-delà de ses prestations radiophoniques, qui connaît Zorah Bitan, son parcours, ses engagements politiques et ses idées concernant le judaïsme, les Gilets jaunes ou l’avenir de la France ? Liliane Messika, écrivain, essayiste et traductrice, donne dans son dernier livre un portrait haut en couleurs et révélateur de la Grande gueule Made in France. Extraits :  « Et quand ceux qui ont un pois chiche dans la tête disent “les Juifs, ils réussissent” avec envie, pas avec admiration, moi, mon envie, c’est de leur demander s’ils connaissent l’adresse du bureau qui distribue les diplômes de chirurgien ou d’architecte. Sauf que les Juifs, ils n’attendent pas au guichet, ils se donnent le mal d’étudier, de travailler, d’inventer ». Ou encore : « Je suis tombée sur la Shoah quand j’avais douze ans. Ça a tué mon enfance, mais ça m’a donné une force, ça a rajouté une force à mon identité. Je suis une Française qui appartient à la fois à l’histoire de ses parents, donc à celle de l’Algérie, et à celle du peuple juif ».

Comme l’atteste l’extrait qui précède et comme le confirme Liliane Messika, le rapport très spécial qu’entretient Zohra Bitan avec le peuple Juif et son histoire n’a rien à voir avec le fait que son mari, Yves Bitan, est Juif. En effet il « n’a aucune connexion avec le judaïsme » et « c’est Zohra qui l’a emmené en Israël ».

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A travers le portrait de Zohra, transparaît en filigrane celui de l’auteur, qui partage avec le sujet de son livre de nombreuses idées concernant des sujets aussi importants – voire brûlants – que l’immigration, l’intégration (ou son absence) et l’avenir de la France, devenu bien sombre depuis quarante ans. Liliane Messika fait remonter le déclin français à l’époque de François Mitterrand, « le président à la francisque et à la rose » qui « avait mis en place une stratégie de cuisson des homards français appuyée sur la mise en avant de minorités disparates présentées comme victimes, criminalisant les opposants et forçant les tièdes et les opposants au silence ».

Pourtant, la biographie de Zohra que nous offre Liliane Messika n’est pas un livre pessimiste. Il s’achève d’ailleurs sur le mot de « promesse »… L’auteur, comme son sujet d’étude, « rêve de voir la France retrouver sa splendeur… et une place en tête du classement des pays où l’on est heureux de vivre ».

Pierre Lurçat : Liliane Messika, vous avez publié pas moins d’une quarantaine de livres, dont les sujets vont de la communication et de l’environnement à des romans, des livres pour enfants, etc. (j’en oublie…) Pourquoi publiez-vous aujourd’hui une biographie consacrée à Zohra Bitan ?

Liliane Messika : J’ai eu un coup de foudre amical pour cette femme hors norme : elle est un remède anti-préjugés à elle toute seule. Ce n’est pas seulement de l’admiration pour sa détermination, sa clarté de vue, sa lucidité et sa fougue, c’est aussi de la tendresse pour l’enfant qui reste encore au fond d’elle et lui a permis de devenir une super maman et une grand-mère de compétition.

Je l’ai connue en 2018. Elle lisait mes chroniques sur Internet et quand j’ai eu l’occasion de la rencontrer, nous avons éprouvé immédiatement plus que de la sympathie : une vraie fraternité. Du coup, lorsque mes chroniques ont été publiées, je lui ai demandé si elle voulait bien m’écrire la préface. Et plus je la connaissais, plus j’appréciais ce que je voyais, et plus j’avais envie d’en savoir plus sur le parcours d’un être aussi singulier. Je lui ai proposé d’écrire sa biographie. Et voilà.

Zohra Bitan, ancienne porte-parole de Manuel Valls aux primaires socialistes de 2011, relate ainsi son parcours politique : « À 27 ans, j’entre au PS sans me sentir pour autant de droite ou de gauche. D’ailleurs, la politique ne m’intéressait pas. Mais comme mon père me disait toujours que la gauche, c’est bien pour nous, les pauvres immigrés, je l’ai cru ».  Est-ce que vous vous êtes identifiée à ce parcours politique ?

C’est mon père qui était immigré et qui m’a donné l’amour de la France. Il a déchiré sa carte du parti communiste au moment du procès des blouses blanches en URSS, en 1953. J’avais deux ans. Moi je n’ai pas milité, mais j’ai voté rose systématiquement à tous les scrutins jusqu’en 2002. À la présidentielle, où j’aurais dû mettre dans l’urne le bulletin Jospin, celui-ci s’était adjoint les conseils d’un certain Pascal Boniface qui a proposé de séduire « les jeunes musulmans » en stigmatisant les « sionistes ».

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C’était une époque où l’antisémitisme flambait en France, grâce à une présentation des événements du Moyen-Orient pour le moins biaisée : je vous rappelle « Jéningrad », une opération de représailles israéliennes contre les auteurs d’attentats terroristes qui avaient fait une centaine de morts civiles. Les médias français comptaient les morts palestiniens de mille en mille en commençant à 5000. En réalité, il y en avait eu 52 et 23 soldats israéliens en plus des victimes des attentats.

N’empêche, quand les visages de Chirac et de Le Pen sont apparus le 21 avril 2002, à 20 heures, j’ai pleuré et j’ai dit à mes enfants : « C’est de ma faute ! » Je n’ai aucun sentiment mélenchonien de toute-puissance, mais je me sentais coupable, alors même qu’il m’était impossible de voter pour quelqu’un qui préconisait une instrumentation aussi cynique d’une catégorie de la population. Zohra a vu les événements de l’autre côté, puisqu’elle était militante socialiste. Son jugement sur le parti est encore plus sévère que le mien. Elle a d’ailleurs écrit un livre qui s’appelait Cette gauche qui nous désintègre, dans lequel elle ne mâchait pas les maux dont les socialistes étaient responsables et coupables !

A votre avis, Zohra Bitan est-elle une dissidente, ou une musulmane « modérée », ou peut-être un modèle d’intégration, si ce mot a encore un sens dans la France multiculturelle actuelle ?

Zohra est une Française, qui se sent de souche parce qu’elle a fait sienne l’Histoire de France et qu’elle vibre au vase de Soissons et à la Pucelle d’Orléans. Elle est laïque partout et musulmane pratiquante dans le privé. « Musulmane modérée » est une appellation qui vient de l’extérieur. L’islam est plus qu’une religion, c’est une appartenance qui dit bien son nom : soumission. Vus de l’intérieur, les musulmans laïques, pour qui la foi appartient au domaine intime, comme la sexualité, sont de mauvais musulmans. Il faut un immense courage pour affirmer que la femme est l’égale de l’homme, quand le dogme stipule exactement le contraire et qu’il prévoit des sanctions sévères.

Zohra est à la fois une dissidente vis-à-vis des islamistes qui interprètent le dogme avec la rigueur qui sied à leur soif de pouvoir, et un modèle d’intégration dont la France peut s’enorgueillir, même si ses dirigeants ont cassé le moule et font tout ce qu’ils peuvent pour qu’on ne puisse pas le reconstituer. Je crois qu’elle aurait fait une présidente de la république formidable et je suis présidente de son fan club.

Liliane Messika, Zohra Bitan, Une Grande Gueule made in France, éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2022, 212 pages.

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