Après l’école lieu de vie, voici l’école du bien-vivre, du repos, du cocooning, du chez soi à l’école, bref voici venu le temps de l’école du bien-être. Exit donc l’école de l’apprentissage, de l’enseignement, de la transmission, exit l’école de l’effort.
En reprenant les conclusions du rapport remis par le comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires, le ministre de l’Education a souligné sur les antennes de France Info, que le temps scolaire devait être organisé autrement parce que c’est « le bien-être de l’enfant » qui en dépend.
Ah, « le bien-être de l’enfant » ! À entendre Luc Châtel, on aurait cru qu’il parlait du dernier spa à la mode. Détente, repos, bien-être sont les nouveaux services à la carte que l’école, cette pépinière maternante, doit offrir à l’enfant-roi. Parce que, vous comprenez, pour l’Education nationale, l’enfant n’est pas un être débordant d’énergie qui récupère à une vitesse grand V. Non, l’enfant est être vieillissant, qui est tellement fatigué par les rythmes de la vie moderne qu’il a du mal à ingurgiter les bribes de notions grammaticales balancées au détour d’un cours d’informatique.
Mais revenons donc au sacro-saint bien-être. Érigé en ultime critère pour juger de l’efficacité de l’aménagement des rythmes scolaires, « le bien-être de l’enfant » est la priorité des priorités. Rien n’importe plus que de ménager la santé et les neurones de nos chères têtes blondes !
D’après ce rapport, une journée idéale à l’école est « une journée moins lourde qui alterne suffisamment les activités pour respecter les biorythmes de l’enfant et éviter la fatigue ».
Ici, il faut donc parler d’enfant et non d’élève, comme si les élèves à instruire n’existaient plus, comme s’il n’y avait que des enfants à ne pas trop surmener et surtout à ne jamais sermonner.
Ce n’est plus l’élève et le souci de son instruction qui préoccupent l’école aujourd’hui, mais l’enfant et ses besoins biologiques. Ce serait par rapport aux impératifs de ses « rythmes biologiques et biopsychologiques » et non plus en fonction de la nature de la discipline enseignée, comprise d’ailleurs comme des activités à pratiquer et non plus comme des connaissances à transmettre, que la répartition des heures de classe se déterminerait.
Le temps où l’élève devait s’adapter à l’école et à ses exigences de savoir et de discipline est révolu. Aujourd’hui, c’est à l’école de s’adapter au rythme de l’enfant. Imaginez donc 25 lits pour 25 élèves et une sieste de 15 minutes toutes les deux heures !
On prétexte qu’un enfant fatigué est un élève qui apprend mal. Mais est-ce le rôle de l’école de se soucier du processus biologique de l’enfant ? Ne revient-il pas aux parents de faire en sorte que leur enfant arrive frais et dispo à l’école ? Et un enfant fatigué à 7 ans, n’est-il pas un vieillard avant l’âge ? Comment faisaient les générations de nos parents et de nos grands-parents qui, eux aussi, ont été des enfants, n’avaient ni les vacances de la Toussaint, ni les vacances de février et supportaient, de surcroît, des journées bien longues ? En tout cas, s’il y avait eu un classement PISA[1. Le Programme International pour le suivi des acquis des élèves est réalisé par l’OCDE. Le 7 décembre 2010, Luc Châtel a communiqué les résultats déplorables de la France pour l’année 2009] à leur époque, l’école française n’aurait jamais été classée à ce lamentable 22ième rang !
En vérité, il est étrange de ressasser que les élèves sont stressés et fatigués alors qu’ils n’ont plus raisons de l’être, alors que l’Education nationale a tout fait pour rendre l’école attractive avec ses méthodes d’apprentissages ludiques et ses « itinéraires de découverte », où les connaissances ne sont plus enseignées lors d’un cours magistral, puis apprises par des laborieux exercices de répétition et de mémorisation, mais tout simplement découvertes par l’élève lui-même. Cette autonomisation du savoir, soit dit en passant, pompe plus d’énergie que sa réception passive !
Mais parlons-en, des rythmes scolaires ! Le faible nombre d’heures consacrées à l’apprentissage des fondamentaux, le passage de 15 heures de français dans les années 1960 à 9 heures aujourd’hui ne sont-ils pas responsables du fait que 15% des écoliers ne savent pas lire du tout à leur arrivée en 6ième et que 40% ont de graves lacunes[2. Chiffres de novembre 2010] ? La vérité est que le changement des méthodes d’enseignement est aux racines de l’illettrisme et des fractures sociales qui minent la société aujourd’hui.
Le réaménagement des rythmes scolaires supposément favorable au « bien-être de l’enfant » serait donc la formule magique pour lutter contre l’échec scolaire. Quelle vaste hypocrisie !
Pas question de réduire ou d’éliminer les vacances intermédiaires pour mieux étaler le temps scolaire : elles sont bien trop juteuses pour les professionnels du tourisme et bien trop précieuses pour les enseignants. L’alternance entre sept semaines de classe et deux semaines de vacances[3. Les vacances d’été seraient raccourcies et les vacances de la Toussaint passeraient de 10 à 15 jours] arrange tout le monde, profs syndiqués, parents en RTT et enfants fatigués.
Mais l’élève, lui, y trouve-t-il son compte ? Où est donc le véritable intérêt de l’élève devant une année encore davantage saucissonnée, lorsqu’on sait combien il lui est difficile de se remettre dans le bain après une coupure de deux semaines et qu’une bonne concentration se fait sur le long terme ? Derrière le « bien-être de l’enfant », les intérêts économiques sont bichonnés au détriment du savoir qui se délite encore plus.
Le débat sur les rythmes scolaires ne fait donc que détourner l’attention des causes véritables de l’échec scolaire et de la panne de l’école comme moteur de l’intégration. (Faut-il rappeler que la maîtrise d’une langue commune est essentielle pour fédérer un peuple ?)
Le XXIème siècle progressiste pointe « la fatigue de l’enfant » pour mieux mettre au placard de la ringardise la notion d’effort, et promeut l’école du bien-être pour mieux faire oublier l’école du savoir, l’école républicaine, l’école des citoyens éclairés.
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