Accueil Édition Abonné Une défaite historique pour l’ANC, un avenir incertain pour l’Afrique du Sud

Une défaite historique pour l’ANC, un avenir incertain pour l’Afrique du Sud

Il n'est pas exclu que la vie politique sud-africaine reste complètement bloquée dans les années à venir


Une défaite historique pour l’ANC, un avenir incertain pour l’Afrique du Sud
Le 2 juin à Midrand, le président sud-africain Cyril Ramaphosa s'adresse à la nation suite à l'annonce des résultats des élections nationales sud-africaines de 2024, dans le cadre du programme de la Commission électorale sud-africaine. L'ANC, le parti au pouvoir de longue date en Afrique du Sud, a perdu sa majorité absolue dans le pays pour la première fois depuis le début de la démocratie il y a 30 ans, en 1994 © UPI/Newscom/SIPA

C’est un véritable coup de tonnerre qui frappe l’Afrique du Sud. Aux dernières élections générales, l’ANC a perdu sa majorité absolue pour la première fois depuis 1994. La gueule de bois passée, quelles sont désormais les options possibles pour l’avenir de ce pays marqué par une histoire raciale violente ?


Le 29 mai, 27 millions de Sud-Africains ont été appelés à renouveler les 400 sièges du Parlement national et ceux des neuf provinces qui composent le pays.

Cette élection législative, jugée à haut risque, intervient dans un contexte de crises multiples : augmentation du chômage, économie en berne, hausse des violences, résurgence des tensions raciales et tentation sécessionniste. Face à cette situation, les électeurs ont décidé de sanctionner durement l’African National Congress (ANC), qui dirige l’Afrique du Sud depuis 1994, date à laquelle le pays, marqué par des décennies d’apartheid, a connu le premier scrutin multiracial de son histoire. Un parti aujourd’hui miné par des divisions et la corruption.

La Democratic Alliance seconde, Jacob Zuma de retour

Avec 40% des voix, le parti du président Cyril Ramaphosa a donc perdu la majorité qu’il détenait au Parlement fédéral. Talonné par les 22% de la Democratic Alliance (DA) qui conserve entre ses mains le destin de la Province du Cap, la surprise de ce scrutin est plutôt venue du parti populiste uMkhonto weSizwe (MK). En réalisant un score de 15%, l’ancien président Jacob Zuma a signé son grand retour sur la scène politique sud-africaine qu’il avait été contraint de quitter en 2018 à la suite des soupçons de corruption pesant fortement sur lui. En rognant sur l’électorat de l’ANC et celui de l’Economic Freedom Fighters (EFF), dirigé par le populiste d’extrême-gauche anti-blanc Julius Malema, l’ancien patron de l’ANC s’est positionné en véritable faiseur de roi. Il s’est même payé le luxe de remporter les élections dans la province du Kwazulu dont il est originaire, reléguant loin derrière lui l’Inkhata Freedom Party (IFP), un rival local, à un modeste score de 4% des voix.

Cette redistribution des cartes oblige l’ANC à envisager des alliances. Plusieurs scénarios se dessinent, avec des négociations déjà difficiles. John Steenhuisen, leader de la DA, s’est déclaré ouvert aux discussions malgré des divergences en politique étrangère (notamment sur les alliances de l’Afrique du Sud avec la Russie et la Chine, et la reconnaissance de la Palestine que soutient le parti de Cyril Ramaphosa). Une coalition formée avec la DA contraindrait également l’ANC à prendre en compte un accord que ce parti d’opposition a passé avec l’IFP et le Freedom Front +, un parti d’extrême-droite afrikaner qui a dépassé à peine les 1% des voix lors de ce scrutin. Pour les militants de l’ANC, cette alliance contre-nature fait resurgir le spectre du retour des blancs au pouvoir. Une coalition ANC-DA « serait le mariage de deux personnes ivres à Las Vegas. Cela ne marchera jamais », a d’ailleurs ironisé Gayton McKenzie, le chef du petit parti de la Patriotic Alliance qui a fait 2% des voix et qui tente lui-même de tirer son épingle du jeu.

De son côté, Jacob Zuma a posé comme condition préalable à la formation de cette coalition, la démission de son concurrent, Cyril Ramaphosa. Une exigence rejetée par l’ANC qui a vertement critiqué le leader du MK par la voix de Gwede Mantashe, leader national de l’ANC, soulignant l’animosité profonde qui existe entre les deux partis. Autre raison de blocage entre l’ANC et le MK : la suppression de la Constitution souhaitée par le parti de Zuma. Une proposition à laquelle ne souscrit évidemment pas l’ANC. Un mouvement affaibli qui n’oublie pas que tout au long de la campagne pour ces élections, Jacob Zuma a tiré à boulets rouges sur ses anciens amis, tout en captant le vote identitaire et revanchard parmi les Zoulous, seconde ethnie du pays. Une alliance de circonstance qui pourrait être une source rapide de déstabilisation pour le futur de l’Afrique du Sud. 

Désastre national

Une autre option serait d’intégrer l’EFF qui a obtenu 10% des voix. L’ANC devrait alors aussi inclure le MK dans cette coalition de tous les dangers pour l’Afrique du Sud, sortant la DA des négociations. Trublion de la politique sud-africaine, Julius Malema s’est radicalisé ces dernières années et a fait de la carte raciale contre les Afrikaners son fonds de commerce. En exigeant une redistribution équitable des terres, dont les plus arables restent encore majoritairement entre les mains de la minorité blanche, et une nationalisation des entreprises, il fait planer la menace d’une instabilité à court terme du pays pour de nombreux observateurs locaux. Malgré les assurances qu’il avance afin de rassurer l’ANC qui se méfie de lui tout comme le MK, une alliance ANC-MK-EFF est d’ores et déjà jugée « catastrophique » par la DA, rappelant que les deux derniers partis sont des émanations du parti de M. Ramaphosa, et que ceux-ci poursuivraient les mêmes politiques ratées qui ont plongé l’Afrique du Sud dans un état de « désastre national ».

Un échec des négociations en cours n’est cependant pas à exclure. Il provoquerait la mise en place d’un gouvernement minoritaire, préjudiciable pour l’Afrique du Sud. Si le budget annuel n’est pas adopté, les dépenses de l’État seraient bloquées, plongeant le pays dans une crise politique et économique majeure pour les cinq ans à venir. La perspective d’un effondrement similaire à celui du Zimbabwe reste donc à redouter, menaçant de transformer l’Afrique du Sud, jadis puissance riche, en une nation ruinée, prête à sombrer inévitablement dans une guerre civile.




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Journaliste , conférencier et historien.

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