Notre contributeur Driss Ghali publie une remarquable Contre-histoire de la colonisation française (Jean-Cyrille Godefroy Editions, 2023)
En juillet 1830, à peine vingt-et-un jours suffisent à Charles X pour chasser les Turcs d’Alger. Une victoire éclair qui place la France dans un bourbier dont elle ne parvient toujours pas à s’extirper. Alors que les relations entre la France et l’Algérie sont pour le moins difficiles, entre quatre et six millions d’Algériens vivraient actuellement sur le sol français, selon les autorités algériennes.
Régénérer une France dépressive
Quels ont été les ressorts de la colonisation française ? C’est la tâche ardue que s’est donnée Driss Ghali. « C’est bien ici, pour notre race, ce qu’est le Far West pour l’Amérique, c’est-à-dire le champ par excellence de l’énergie, du rajeunissement et de la fécondité. […] La plante qui pousse sur cette terre, ce n’est pas qu’un Français diminué, mais si j’ose m’exprimer ainsi, un Français majoré ». Ainsi s’adresse le maréchal Hubert Lyautey aux colons de la région de Tiaret, en Algérie en 1897.
À travers les colonies, il s’agit donc de créer un « homme nouveau », et à travers celui-ci, de régénérer une France dépressive. Privée de la Savoie pendant un an de 1859 à 1860, la France se voit amputée de l’Alsace et de la Lorraine en 1871, annexées par l’Allemagne. À cette grande frustration s’ajoute le poids de la révolution et de Napoléon Ier. Aux yeux de l’Europe, la France est coupable d’avoir guillotiné son roi et d’avoir fait germer l’épopée napoléonienne, qui a failli engloutir tout le continent.
La France du XIXème est donc « une puissance empêchée », estime Driss Ghali, et elle trouvera dans la colonisation un exutoire. Il faut dire que tant dans l’industrie, la science, la médecine que les arts, tout sourit à l’homme européen du XIXème siècle. Déjà au XVIème siècle, les Ibériques colonisaient l’Amérique sans ménagement. Trois siècles plus tard, les Américains déciment les Amérindiens avant d’envahir les Philippines. Quant aux Russes, ils rêvent de dominer ces steppes gelées que sont la Sibérie, l’Asie Centrale et la Sibérie. Pourquoi ne pas tenter nous aussi l’aventure ?
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L’Histoire indique la marche à suivre. Deux siècles auparavant, les expéditions au Canada et aux Antilles se sont révélées fructueuses. En 1608, Samuel de Champlain fondait la ville de Québec et trois décennies plus tard, la France s’implantait aux Antilles. En juillet 1830, la France intervient donc en Algérie. On ne sait rien de cette contrée mais peu importe, on explore, on tâtonne, on ne pense pas au futur car on vit au jour le jour. On avance au coup par coup, guidé par une politique d’opportunités qui ne se conçoit qu’à court terme. Ainsi démarre l’aventure coloniale.
La mission civilisatrice, une légende
Qu’en est-il alors de la fameuse « mission civilisatrice » de la France, moteur de la colonisation selon l’histoire officielle ? Une légende, s’attelle à démontrer Driss Ghali, qui rappelle que si la France a interdit l’esclavage et a mis fin aux guerres civiles, elle a immédiatement « tourné le dos au colonisés » : « pas d’instruction, peu ou pas de soins, pas de transferts de technologie. Les choses n’ont commencé à changer qu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, soit dix ou quinze ans avant la décolonisation ».
Certes, mais la France s’est enrichie sur le dos de ses colonies, entend-on régulièrement. Cela est faux, s’attelle aussi à démontrer Driss Ghali. « La colonisation à été une dilapidation des deniers publics et des ressources humaines. D’un point de vue strictement financier, la France aurait mieux fait d’investir ses capitaux et ses talents en métropole ou bien en Europe », écrit-il. Quant aux fameux sous-sols de l’Algérie, ils n’arriveraient pas à la cheville des sous-sols sud-africains ou australiens.
Donc la colonisation française, finalement, un détail de l’Histoire ? Ce n’est pas du tout la thèse du livre, qui s’attache à prouver en quoi elle fut une absurdité, « une idée tordue ». Apartheid au sein des pays colonisés, administration défaillante, coûts exorbitants des armements, manque d’infrastructures minières, mais aussi peur de la syphilis et frustration sexuelle etc. Au fil des pages, la colonisation s’apparente de plus en plus à un rocher de Sisyphe n’en finissant pas de redescendre sur le colon. Et tandis que le fardeau des conquêtes devient de plus en plus lourd, il semble évident que le piège s’est déjà refermé, que la France est prise à son propre jeu.
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Vient alors l’heure des crimes coloniaux. Guidé par un souci d’impartialité, Driss Ghali leur consacre un long chapitre. Passages à tabac d’indigènes saluant mal de hauts fonctionnaires au Gabon, bombardement de civils marchant pacifiquement en Indochine, torture généralisée dans les commissariats de cette même Indochine, main d’œuvre réduite à l’état de quasi esclaves en Afrique Australe, l’inventaire est glaçant. Pourtant, « par égard à la sensibilité du lecteur », Driss Ghali s’est refusé à citer les passages les plus atroces du pamphlet anticolonialiste Les Jauniers de Paul Monnet. D’Albert Londres, il est aussi question, ainsi que de Frantz Fanon. Si l’auteur des Damnés de la Terre n’est cité qu’une seule fois, son âme est présente, ce qui vaut à cet ouvrage quelques accents tiers-mondistes.
Pas un bouquin pour Houria Bouteldja
Les actuels autoproclamés indigénistes y trouveront-ils leur compte ? Sans doute pas. Les nostalgiques de l’Algérie française non plus, et c’est ce qui fait toute la force de cet ouvrage. À l’heure où la question algérienne est objet des crispations les plus malsaines, où la question de l’Empire colonial est sujette aux récupérations les plus fanatiques, Driss Ghali fait preuve d’un vrai sens de la nuance dans son analyse. Et quand il donne son avis au détour d’un paragraphe, c’est généralement pour mieux rebattre les cartes.
Comme il le rappelle d’emblée dans le préambule, Driss Ghali n’a pas de formation d’historien. Par conséquent, Une contre-histoire de la colonisation française sera-t-elle ignorée par les Pascal Blanchard, Benjamin Stora ou autres historiens ayant leurs entrées dans les médias ? Ce serait une grande erreur. D’abord parce que le livre est richement documenté et ensuite, parce qu’il est guidé par la recherche de la vérité. Sans manichéisme, le livre nous amène à poser un regard dépassionné et apaisé sur ce que fut la colonisation française.
La fin nous réserve toutefois des considérations plus personnelles. Le chapitre aux airs de pamphlet anti-multiculturel était-il vraiment nécessaire ? Les lecteurs en jugeront. Ce qui est certain, c’est qu’en se demandant si l’on peut parler de bienfaits de la colonisation, ou s’il ne vaut pas mieux « sourire à l’avenir » que « pleurer le passé », Driss Ghali pose de vraies questions. Les solutions préconisées pour la réconciliation, pour un avenir moins sombre que celui qui s’annonce, mériteraient d’être plus développées, bien plus. Mais est-ce à Driss Ghali de s’en charger ? Plutôt que de rester pétrie sur elle-même avec la crainte (ou l’espérance) d’être submergée par l’Afrique, la France ne devrait-elle cesser d’être sur la défensive pour renouer avec une véritable politique africaine ? Espérons sans trop y croire que Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, se plonge sérieusement dans ce dossier. Il est déjà bien tard. En attendant, Une contre-histoire de la colonisation française est un ouvrage accompli, que devrait lire chaque personne s’intéressant, de près ou de loin, à l’épineuse question de la colonisation.
Une contre-histoire de la colonisation française
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