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Une commémoration pour rien ?


Une commémoration pour rien ?
Photo Flickr / Pepius
Appel du 18 Juin 1940
Photo Flickr / Pepius

Le 18 juin 1940 est sans doute le dernier événement de l’Histoire de France, si l’on entend par événement cette capacité dialectique des vieilles nations à trouver la force de renaître dans les pires catastrophes. Et comme tout événement au sens plein du terme, s’il peut s’expliquer par un concours de circonstances et des déterminismes de toute sorte, il garde malgré tout une part magique, secrète, irréductible, presque mystique. C’est dans un court essai, dense, inspiré et parfois poignant, Juin 40 ou les paradoxes de l’honneur (CNRS Editions) que Philippe de Saint-Robert, gaulliste de toujours, ancien haut-commissaire à la Langue française, tente d’élucider en quoi, durant ces quelques semaines, comme il l’écrit lui-même, « à la qualité du désastre répondra celle de la reconquête. » Ou pour dire les choses autrement, en quoi à Pétain répondra De Gaulle.

On mesure finalement toujours aussi mal aujourd’hui la violence de ces quelques semaines qui entre le 10 mai et le 22 juin virent s’effondrer une certaine idée que la France avait d’elle-même. Un vilain goût pour l’autodénigrement et même la haine de soi a imposé dans l’imaginaire collectif l’image d’une armée de trouillards munichois humiliée par de beaux guerriers blonds, centaures mécanisés qui auraient accompagné notre débâcle jusqu’à la Méditerranée si Pétain n’avait pas signé l’armistice dans les conditions honteuses que l’on sait. Et l’on remarquera que si la littérature (Marc Dugain, Philippe Claudel, Jean Rouaud, Sébastien Japrisot pour ne citer qu’eux) et le cinéma tournent très souvent autour de la guerre de 14 comme plaie inaugurale et toujours à vif de la modernité, les combats de 40, eux, sont depuis le Sartre de La mort dans l’âme en 1949, Week-end à Zuydcoote de Robert Merle sorti la même année et La Route des Flandres de Claude Simon en 1960, pratiquement absents du roman national.

La mémoire courte

Pire, ce sont les pantalonnades parfois douteuses comme La 7ème compagnie qui font office sur la question de mémoire collective. Et pourtant, c’est oublier un peu vite la charge héroïque des spahis du 15 mai à la Horgne, la bataille de chars de Montcornet menée victorieusement par un certain colonel De Gaulle deux jours plus tard, l’admirable résistance du Cadre noir de Saumur épaulé par les élèves sous-officiers de Saint-Maixent et les tirailleurs algériens le 20 juin, c’est encore les barouds d’honneur des unités encerclées dans les casemates de la ligne Maginot. C’est oublier, aussi, qu’il y eut pendant cette courte période au moins cent mille morts ce qui, proportionnellement, représente des pertes supérieures à celles de la première guerre mondiale.

C’est oublier, enfin, cet Appel du 18 juin. Philippe de Saint-Robert, après avoir replacé de manière synthétique et précise le contexte désespéré et proprement terrifiant de ce saut dans l’inconnu, montre qu’il est porteur d’une charge symbolique qui dépasse le cadre de la France et, de manière typiquement gaulliste, prend d’emblée une valeur universelle : « La symbolique du 18 juin est là pour justifier tous les appels qui n’ont jamais été entendus, innombrables appels toujours étouffés dans la nuit de l’Histoire et les guerres perdues ».

Soixante-dix ans après, quand on constate le nombre de malentendus, rancoeurs, refoulements, erreurs d’appréciations, reniements, haines de soi qui font le quotidien de notre pays dont on sent bien, dans tous les domaines, économiques, sociaux, ethniques, religieux, qu’il est au bord de la crise de nerfs, le petit essai de Saint-Robert n’est pas dénué d’une manière d’amertume, voire d’une franche désillusion. On sent que Saint-Robert voudrait que notre pays obéisse de nouveau à la célèbre injonction de Bernanos : « Ralliez-vous à l’histoire de France ! ».

Se rallier à l’Histoire de France

Et se rallier à l’histoire de France, en 2010 quand le sentiment de perte d’identité s’accompagne de régressions sociales sans précédent, ce serait se rallier à nouveau aux soldats de l’an II, à la Commune, à Verdun, au Front Populaire et, bien entendu à l’Appel du 18 juin : « Le message du 18 juin est un message de souveraineté, et c’est en ce sens qu’il est un message de liberté. La souveraineté comme liberté ne découle pas d’un système politique donné, mais tout système doit découler d’elle sous peine de perdre sa source dans notre histoire et de n’être plus que l’appareil légal d’une volonté qui se meurt dans une nation qui se renonce. C’est dire que le général de Gaulle s’éloigne alors qu’on le célèbre. »

Surexposer, on le sait, c’est souvent neutraliser, surtout à l’époque où le rapport vivant à l’Histoire s’est figé en « devoir de mémoire » et commémorations compassées.

Cela n’empêchera pas, pourtant, quelques cœurs rebelles de garder foi en ce cher et vieux pays et de murmurer, comme un mot de passe qui court souterrainement depuis Dominique de Roux : « À demain, de Gaulle ! »

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