Si un homme furieux armé d’un fusil me demandait de définir Gérald Sibleyras en quatre adjectifs, je lui répondrais sans hésitation : drôle, français, anti-moderne et léger ! Frappé par la justesse de ce portrait à brûle-pourpoint, l’homme poserait assurément son fusil et courrait sans même me dire au revoir au Théâtre Montparnasse afin de voir la prochaine représentation d’Une comédie romantique. Si d’aventure vous étiez tenté d’aller y rejoindre ce forcené malappris, sachez que la chose était impossible avant le 22 janvier 2010 et qu’elle le redeviendra à compter du 15 mai. Je vous conseille donc plutôt l’intervalle.
Lorsque j’ai assisté, il y a quelques années, à l’excellente Danse de l’albatros puis à Vive Bouchon !, j’ai eu l’heureuse surprise de découvrir un théâtre qui s’intéresse au monde réel, au monde concret contemporain. Qui ne fait pas comme s’il n’existait pas. Un théâtre qui le visite et en démonte les ridicules avec un humour féroce et primesautier. Gérald Sibleyras me semble poursuivre par la voie théâtrale l’entreprise de sape des mythologies du moderne accomplie dans le roman français contemporain par Duteurtre, Taillandier ou Houellebecq. Nul hasard, en outre, si les pièces de Sibleyras se jouent souvent rue de la Gaîté, juste en face du lieu où Philippe Muray écrivait ses livres. Car Sibleyras est d’abord le voisin de Muray par l’esprit qui anime ses pièces. Gérald Sibleyras, à qui l’on doit également La Retraite de Russie, Une heure et demie de retard, L’inscription et Le vent des peupliers et qui a obtenu de nombreuses nominations aux Molière en tant que meilleur auteur, compte assurément parmi les lecteurs les plus avertis de Muray, ainsi que parmi ses successeurs les plus drôles.
Une comédie romantique est un vaudeville agréable et enlevé, débordant de mauvais esprit. La pièce commence avec la rencontre d’Anita et Léon, au cœur de l’enfer contemporain : dans un « espace SNCF ». Ils deviennent amants. Leur amour est infesté de téléphones portables, d’ordinateurs et de chambres d’hôtels. Très vite, aussi, il bascule dans l’engrenage du mensonge, d’une manière qui diverge singulièrement de la banalité un peu triste de l’adultère mainstream : Anita et Léon se font croire l’un à l’autre qu’ils sont mariés. Leur situation devient naturellement inextricable.
Dans Une comédie romantique, nous rencontrons également, pour notre plus grand profit, un « coach de vie », un « semi-piéton », malheureuse victime d’une « zone semi-piétonnière », un non-fumeur solidaire de ses frères fumeurs, une kinésithérapeute slovaque et de faux Danois. Nous y apprenons que « nous sommes tous reliés » et que « la Terre est un être vivant ». Ce désopilant jeu de l’amour et du hasard trouve son dénouement burlesque au Salon du mieux-vivre, où divers adeptes de l’harmonie new-age finissent par s’étriper tous entre eux et où le sang de bobo coule à flot.
Bonne baignade !
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