Les jeunes sont des cons, et ce depuis la plus haute Antiquité. Patrocle, l’ami d’Achille, à peine sorti de l’adolescence, dut s’exiler pour avoir tué un homme après une querelle de jeu avant de devenir pédéraste et d’enfiler l’armure de son amant pour prendre sa place alors que l’autre ne lui avait rien demandé.
Les jeunes croient avoir tout inventé alors qu’ils ne font que répéter, en moins bien, ce que firent admirablement leurs aînés. Les jeunes sont ainsi persuadés d’avoir, avec les « apéros géants » convoqués par Facebook, trouvé un mode original de convivialité et, surtout, une façon de se la jouer « classe dangereuse » pour faire peur aux bourgeois.
Il faudrait leur expliquer, mais je n’ai plus la patience, que la notion même d’apéro géant est un oxymore. L’apéro est le moment du temps suspendu dans la société choisie d’un bistrot de quartier ou d’une maison de campagne. Au-delà d’une dizaine de personnes, l’apéro devient au choix un vin d’honneur, un cocktail mondain ou un pot de départ en retraite (cas qui ne concernera bientôt plus grand-monde, d’ailleurs).
[access capability= »lire_inedits »]Facebook, le réseau asocial
L’apéro, si exquisément français, avait déjà subi un outrage en devenant « dînatoire ». Mal assis dans des fauteuils trop profonds, on mange, dans le plus grand désordre syntagmatique par rapport à la grammaire d’un repas normal, des nourritures industrielles et régressives, et c’est ainsi que le jeune est sincèrement persuadé que l’apéricube est un fromage. Or, une société qui ne sait plus se mettre à table, c’est une société qui ne sait plus parler.
Les jeunes aiment bien les apéros dînatoires parce qu’ils sont à l’apéritif honnête, old school, ce que la rave party est à la surprise du même nom : un moyen d’être tout seul ensemble, d’empiler les solitudes comme un millefeuille. C’est pour cela que Facebook leur convient. Facebook, c’est le réseau asocial par excellence. La preuve, c’est que lorsque les jeunes se retrouvent ensemble grâce à lui dans la vie réelle, les jeunes boivent comme des trous, se battent, dégradent de jolis centres-villes et, finalement, meurent d’un coma éthylique ou d’une chute. Et ils n’ont même plus l’excuse, dans de tels débordements, de vouloir faire une révolution ou une guerre. Non, ils cherchent simplement à se compter en se vomissant les uns sur les autres pour éprouver un bref instant une présence incarnée qui les fasse sortir du bunker de leur solipsisme avec des « profils », des « murs » et des « infos », toute chose quand même très connotée univers carcéral.
La seule chose qui pourrait rappeler la notion d’apéro géant, c’est-à-dire de gens buvant ensemble dans l’espoir d’ouvrir sur quelque chose (c’est l’étymologie d' »apéritif »), que ce soit une guerre, un sacrifice humain ou un festin avec des dieux, ce sont les libations homériques. Et nous voilà revenus à Patrocle. Les libations dans l’Iliade et l’Odyssée, ce sont les apéros géants des Anciens, mais, comment dire, avec quand même quelque chose en plus, quelque chose qui manque aux dyspeptiques adulescents d’aujourd’hui : « Quand vous aurez, comme il est juste, fait les libations et que vous aurez prié, remettez à ce jeune héros la coupe remplie de vin, pour qu’à son tour il fasse des libations ; car je pense qu’il veut aussi prier les immortels : tous les hommes ont besoin de l’assistance des dieux. »
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