L’Iran n’a pas de projet nucléaire militaire. Cette affirmation n’est pas extraite d’un discours de Mahmoud Ahmadinejad mais d’un rapport des services de renseignements américains (dont quelques pages sur 150 ont été rendues publiques cette semaine). Avec ce texte, la communauté du renseignement prend sa revanche sur la Maison Blanche. Plus jamais ça. Plus jamais nous ne porterons le chapeau de vos guerres : tel est en somme le message adressé à George Bush par les services secrets, CIA en tête. Il n’y aura pas de remake du scénario irakien. Si Messieurs Bush et Cheney veulent faire la guerre à l’Iran, c’est leur droit constitutionnel, mais ils devront assumer seuls leur choix.
Pour autant, les cris de victoire des partisans de l’apeasement ne sont guère de mise. Qu’apprend-on, en effet, dans ce texte explosif ? Non pas que le nucléaire iranien est un fantasme sorti du cerveau des docteurs Folamour de Washington pour justifier leurs noirs et impérialistes desseins. On n’y découvre pas non plus que les mollahs sont d’aimables pacifistes seulement soucieux de procurer à leur peuple une électricité écologiquement correcte. Les maîtres espions de l’Amérique se bornent à constater que Téhéran a gelé son programme nucléaire en 2003. Certes, il s’agit d’une déconvenue pour les faucons qui rêvaient d’en découdre – au demeurant, ils ne sont peut-être pas aussi nombreux qu’on l’imagine. Toutefois, cette conclusion en appelle deux autres. Primo, le programme nucléaire militaire iranien existe bel et bien ; secundo, les ayatollahs qui ont décidé de le geler peuvent aussi bien décider de le décongeler. Auquel cas Téhéran pourrait disposer d’une arme opérationnelle entre 2010 et 2015. En clair, l’affaire n’est pas classée. Loin s’en faut.
Il y a bien dans ce rapport une bonne nouvelle mais ce n’est pas celle que l’on croit. En effet, si l’on fait confiance à la CIA et aux autres agences (et, à vrai dire, on ne dispose pas de tant d’autres sources sur l’Iran), il apparaît que les dirigeants iraniens sont des hommes raisonnables. Contrairement à ce que laisse penser le langage fleuri du président Ahmadinejad, les ayatollahs comprennent les rapports de forces. Les prétendus « fous de Dieu » entendent aussi bien que n’importe quels autres politiques le langage de la carotte et du bâton.
Inutile, cependant, de se bercer d’illusions. Les Iraniens veulent la bombe. Simplement, les désirs sont une chose, les capacités une autre et les actes encore une troisième. Le rapport de l’intelligence US nous renseigne d’abord sur le troisième plan. Restent les deux premiers. S’agissant des souhaits et des capacités de Téhéran, la cause est entendue. Non seulement l’Iran a mené un programme nucléaire jusqu’en 2003, mais il l’a de surcroît dissimulé. Et c’est seulement pris la main dans le pot d’uranium qu’il a arrêté sa tambouille nucléaire.
Bien sûr, il faut se demander pourquoi on ajouterait foi aux « révélations » des services américains. Question brûlante sur laquelle ni les avocats, ni les adversaires de la politique américaine n’ont envie de s’attarder. De leur propre aveu, les services américains ont été incapables de détecter le programme iranien lorsqu’il était en pleine activité mais ont claironné son existence une fois qu’il était suspendu. Si l’on ajoute à ce bilan leur incurie en Irak et en Lybie et leur incapacité à prévenir les attaques du 11 septembre, il n’y a pas de quoi leur faire une confiance aveugle aujourd’hui.
Cela dit, quelle que soit sa fiabilité, le mérite de ce rapport est de rappeler que les dirigeants de Téhéran ne sont pas des fous furieux mais des realpoliticiens. Ils veulent l’arme nucléaire mais pas à tout prix. Reste à savoir combien ils sont prêts à mettre sur la table – et éventuellement combien d’Iraniens ils sont prêts à sacrifier à cette fin. Plutôt que de pousser des glapissements sur le juste combat qu’il conviendrait de mener contre les forces du mal, il importe de répondre à cette question.
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