Sortie en DVD d’«Une affaire d’hommes» de Nicolas Ribowski, scénario et dialogue de Georges Conchon
Comment a-t-on pu si vite oublier le nom de Georges Conchon (1925-1990)? La postérité est forcément injuste. Dégueulasse même. Elle promeut les médiocres, les bateleurs et les habiles communicants de leur propre œuvre. Tandis que disparaissent des écrits essentiels au fond des boîtes, dans la poussière des bouquinistes, le papier jauni entre les mains et cette odeur tenace de semi-moisi qui prend le nez, Conchon écrivit des romans qui obtinrent pourtant, en leur temps, des distinctions à la pelle: Prix Fénéon 1956 pour Les Honneurs de la guerre, Prix des Libraires 1960 pour La Corrida de la victoire, Prix Goncourt 1964 pour L’État sauvage etc… Et même des romans qui connurent des adaptations au cinéma avec, s’il vous plaît Visconti, Rouffio, Annaud, Girod ou Chéreau (L’Étranger, Sept morts sur ordonnance, La Victoire en chantant, Le Sucre, La Banquière, Lacenaire, etc…).
Conchon démontait les mécanismes les plus complexes, rien ne résistait à son appétit de dissection…
À ma connaissance, aucun comité de défense de Georges Conchon ne s’est constitué pour réparer cette injustice. Alors que d’autres écrivains mineurs ont droit à des campagnes d’affichage dans les rues de Paris et les génuflexions d’une presse culturelle déconsidérée par des années d’errements esthétiques. Que fait également l’Université si prompte d’habitude à colloquer sur les opprimés des Lettres et le moindre dissident politique ayant pondu un poème mal séquencé?
Le contraire d’un idéologue
On peut avancer deux arguments pour expliquer ce désintérêt, voire cette méconnaissance totale pour l’un des piliers de la littérature française dans la deuxième moitié du XXème siècle: Conchon écrivait bien et ses livres s’appuyaient sur une réalité sociale peu reluisante. Il enquêtait, à la manière des Américains, de longs mois, il s’imprégnait à fond d’un sujet afin d’en percevoir toutes les faces obscures, de la décolonisation au marché à terme de marchandises, il démontait les mécanismes les plus complexes, l’Afrique, le sucre ou le pouvoir judiciaire, rien ne résistait à son appétit de dissection.
Il n’avançait jamais avec les œillères de son milieu d’origine. Pour cet homme de gauche, aucun camp n’avait le monopole du cœur. Il distribuait les coups de griffe de chaque côté. C’était le contraire d’un idéologue, son indépendance d’esprit menaçait les affidés du système. À sa parfaite connaissance des thèmes les plus arides du moment, il avait le don inné pour le dialogue. Il préférait utiliser le singulier comme si le pluriel dénaturait sa tapisserie et détraquait sa dramaturgie.
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Le dialogue est un tout, harmonieux et rond, qui façonne une histoire. Conchon écrivait des histoires, de très bonnes histoires inspirées de faits réels qui passionnaient les lecteurs et fascinaient les réalisateurs. C’en était trop pour un seul homme. Un type qui plaît autant est forcément suspect aux yeux des aigris et censeurs de l’édition. Pour couronner le tout, il était Secrétaire des débats au Sénat. Fonctionnaire et écrivain, ami de Carmet et de Gégé, proche de Rocard et ayant été à l’école avec Giscard sous l’Occupation, Auvergnat et prolixe à la fois, pointilleux sur la véracité et doué d’un comique persifleur, humaniste sans être victimaire, doué pour le portrait psychologique et la frise policière, Conchon incarnait cette qualité «France» qui résiste au temps et qui nous manque tant. Il n’avait pas la gueule de l’emploi, pas le genre débraillé ou bohème chic, plutôt rond-de-cuir à la Courteline ou notaire balzacien; lunettes épaisses et costume trois pièces; rigueur vestimentaire et fantaisie littéraire. À son contact, on prend une leçon d’écriture et d’humilité que ce soit sur papier imprimé ou grand écran.
La précision d’une montre suisse
Datant de 1981, « Une affaire d’hommes » avec Claude Brasseur dans le rôle du commissaire Servolle et Jean-Louis Trintignant dans celui du promoteur immobilier Louis Faguet en est une illustration magistrale. Le film ressort en DVD agrémenté d’un entretien exclusif très éclairant avec le réalisateur Nicolas Ribowski. En évoquant le souvenir de Conchon, il file la métaphore horlogère, il parle d’une «Patek Philippe» tellement le scénario et le dialogue entraînent une mécanique implacable. La science narrative de Conchon a la précision d’une montre suisse, elle lance insidieusement le chronomètre de la défiance quand l’amitié vient à dérailler.
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Le film se passe essentiellement à Longchamp dans un peloton de cyclistes amateurs.
Quand l’un des coureurs vient à être accusé du meurtre de sa femme, le groupe vacille. À l’originalité du sujet et la beauté du duel fascinant entre Brasseur et Trintignant, mélange d’endurance et de désamour, «Une affaire d’hommes» vaut pour le décor. Les tours de pistes, les crevaisons et les fringales, l’hiver parisien, la sueur qui colle au cuissard et l’effort sans cesse renouvelé pour améliorer son chrono ou trahir ses amis. Le casting (Jean-Paul Roussillon, Jean Carmet, Eva Darlan, Béatrice Camurat, exceptionnel Patrice Kerbrat sans oublier la présence de Noëlle Châtelet et Elisabeth Huppert) fait de ce film, une référence du genre. Sucer la roue de Conchon n’est pas tromper!
Une affaire d’hommes – Film de Nicolas Ribowski – Scénario et dialogue de Georges Conchon – DVD Studiocanal
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