Imaginez un journaliste qui dénonce depuis vingt ans l’absorption de viande animale; qui profite de toutes ses tribunes, devenues petit à petit plus nombreuses, pour fustiger ceux qui aiment se nourrir de cadavres d’animaux et imaginez aussi que le côté fonceur, enthousiaste et parfois provocateur de ce garçon a même fini par le mener au tribunal. Imaginez qu’il soit néanmoins devenu très populaire dans le pays, que beaucoup de gens le voient comme un porte-parole, que sa condamnation ait même amplifié le phénomène.
Imaginez maintenant que le président d’une association de charcutiers – nous l’appellerons Hervé N. – très sensible à cette popularité l’invite à parler devant ses ouailles, que le patron national du syndicat des bouchers-charcutiers – Monsieur Jean-François C. – soit présent à la manifestation et que le journaliste végétarien, sans changer une ligne à son discours habituel, y fasse un triomphe !
A ce stade du récit, votre imagination disjoncte? Elle ne peut aller jusque là ? Pourtant, le passage d’Éric Zemmour au congrès des réformateurs, autrement dit la frange la plus libérale – en économie, s’entend – de l’UMP, ressemble comme deux gouttes de vin d’Arbois à ma parabole végétarienne.
Lorsqu’on écoute Éric Zemmour, lorsqu’on le lit, on sait ce qu’il désigne sans cesse comme responsable de la plupart de nos maux économiques : la liberté intégriste de circulation. Il dénonce celle des marchandises et préconise le protectionnisme ; celle des capitaux, qui met le pays à poil devant la haute finance ; celle des hommes qui permet à l’immigration de se développer, et offre au patronat une « armée de réserve industrielle », selon la vieille antienne marxiste. Il est d’autant plus piquant de constater que c’est la frange la plus libérale, et donc la plus hostile à ce discours, qui tente de récupérer le polémiste.
On me rétorquera à raison que là n’était pas le sujet et que le Club des réformateurs a moins invité Zemmour pour ses idées que comme symbole de la liberté d’expression. Soit. Le problème, c’est que lorsque le chroniqueur de France 2 et de RTL déclare à la tribune qu’il faut supprimer non seulement la HALDE mais aussi toutes les lois mémorielles -loi Gayssot, loi Taubira et aussi celle consacrant les « bienfaits » de la colonisation- comme nombre d’historiens le réclament, il doit être piquant pour lui de faire un malheur dans la salle. Il n’a pas dû non plus bouder son plaisir en voyant Copé et Novelli l’applaudir des deux mains, puisque la loi Taubira et la HALDE furent l’œuvre d’une majorité dont ils étaient des piliers, comme ministre pour l’un, comme législateur pour l’autre. Zemmour est trop intelligent et trop fin observateur de la vie politique pour avoir formulé cette proposition sans en connaître tout le piquant.
« Pendant que vous y êtes, supprimez les subventions aux associations antiracistes », a t-il conclu, se faisant au passage un dernier petit plaisir pour la route. S’il avait manqué de l’élémentaire politesse que l’invité doit à ses hôtes, il aurait pu ajouter, l’œil narquois: « Pendant que vous y êtes, quittez l’UMP ! »
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