Il manquait une rubrique scientifique dans Causeur. Peggy Sastre vient combler cette lacune. À vous les labos!
Bien mal avisé celui qui sous-estimera l’influence des divergences démographiques entre les sexes. Chez les animaux non humains, les effets d’un sexe-ratio déséquilibré – des femelles ou des mâles dépassant le seuil des 50 % dans une population – sur les « choix » des individus sont bien connus, surtout en ce qui concerne, on s’en doute, l’accouplement et la reproduction. La problématique est aussi idiote que le sont l’offre et la demande : comme pour les chevaux, un sexe qui se fait rare, c’est un sexe qui se fait cher. Si, dans un environnement donné, un sexe est en surnombre par rapport à l’autre, ses ressortissants auront toutes les peines du monde à attirer des partenaires et rentreront très souvent bredouilles. Inversement, en étant du sexe (numériquement) faible, vous n’aurez qu’à vous baisser pour trouver quelqu’un qui veuille bien de vous, et même plusieurs fois de suite si vous avez la santé.
Dans notre belle espèce, les études sur les effets comportementaux et psychologiques d’un sexe-ratio déséquilibré sont plus parcimonieuses, mais elles ne sont pas pour autant inexistantes : d’aucuns ont déjà pointé l’effet du rapport entre le nombre d’hommes et de femmes dans une population sur certains schémas conjugaux, familiaux et même financiers. Sans parler, évidemment, des conséquences sociales des avortements sélectifs et autres infanticides de filles dans certains pays barbares.
L’influence sur la criminalité
Mais c’est sans doute la criminalité qui occupe le plus nos chers scientifiques. L’idée qu’un surplus d’hommes dans une population intensifie la compétition sexuelle entre mâles, surtout s’ils sont célibataires, pour en définitive augmenter la violence dans cette même population, fait son petit bonhomme de chemin. La logique est la suivante : quand les hommes sont en surnombre, la proportion d’esseulés augmente et c’est justement à ce groupe démographique que l’on doit l’écrasante majorité des agissements les plus vilains. Mais l’hypothèse est controversée. Depuis quelques années, le corpus scientifique grossit dans l’autre sens pour estimer que les niveaux de compétition intrasexuelle masculine et de violence devraient au contraire augmenter quand le sexe-ratio penche vers les femmes. Ici, l’explication est que lorsque les femmes sont moins nombreuses, les hommes sont plutôt incités à se plier à leurs désirs qui, en moyenne, sont relativement plus pourvoyeurs de paix sociale.
Reste que ces deux postulats présentent le même problème, qui est que les données empiriques pour les étayer ne sont pas d’une grande qualité. En particulier, beaucoup d’études souffrent de la fameuse « erreur écologique », soit le fait de partir de données mesurées à l’échelle d’une population pour en inférer (improprement) des comportements à l’échelle individuelle – celle qui compte le plus sur le plan du « ressenti » lorsqu’on parle de violence et de criminalité. Quelques analyses contournent l’écueil et font état de corrélations positives entre surplus d’hommes et taux de criminalité et de victimation – ce qui semble apporter de l’eau au moulin du « plus il y a d’hommes, plus il y a de problèmes ». Mais leur applicabilité dans nos contrées est limitée, vu qu’elles portent sur des régions indiennes ou du Sud-Est asiatique, aussi leur utilité pour départager les deux hypothèses est-elle assez faible. De fait, pour tester la validité de l’hypothèse n° 2 (plus d’hommes, moins de problèmes car ils s’adaptent davantage aux goûts matrimoniaux féminins), il faut que les femmes soient un tantinet libres dans leurs choix, ce qui, souvent, n’est pas le cas dans ces pays où les mariages arrangés, voire forcés sont la norme. En outre, l’hypothèse « plus d’hommes, moins de violence » laisse supposer une instabilité des couples dans les contextes de femmes abondantes. Ce qui est moins plausible dans les sociétés sexuellement contraignantes que forment les populations indiennes et sud-asiatiques.
« Plus d’hommes, plus de problèmes? »
On en vient donc à la petite révolution que constitue l’article publié dans le numéro de mai de la revue Evolution and Human Behavior. Non seulement cette étude veille à ne pas se vautrer dans l’erreur écologique – la même qui avait perdu Emmanuel Todd et ses « catholiques zombies » des manifestations de janvier 2015 : le bougre avait déduit la composition sociologique des rassemblements de celle des régions où ils s’étaient tenus –, mais elle porte également sur des données européennes et sur une société libérale. En l’espèce, l’équipe de recherche de Sebastian Schnettler, sociologue à l’université d’Oldenburg (Allemagne) qui œuvre à l’intégration entre sciences sociales et sciences naturelles, s’est penchée sur pas moins de 758 498 personnes âgées de 18 à 30 ans, dont 383 658 hommes, étudiées entre 1990 et 2003 dans la zone métropolitaine de Stockholm, soit 7 150 km² à la ronde. Il en ressort qu’à l’échelle de la population, quand les hommes sont en surnombre, les taux de délinquance sont plus faibles – un point pour l’hypothèse n° 2 du « plus d’hommes, moins de problèmes » – mais que les corrélations s’inversent à l’échelle individuelle – un point pour l’hypothèse n° 1 « plus d’hommes, plus de problèmes ». Détail fichtrement intéressant, Schnettler et ses collègues constatent que cette dernière association est d’autant plus valable pour la violence masculine intrasexuelle – des hommes qui s’en prennent à d’autres hommes –, mais pas pour l’intersexuelle – des hommes qui s’en prennent à des femmes, et notamment à leurs partenaires intimes présentes ou passées. Une observation qui pourrait être autant favorable à l’hypothèse n° 1 qu’à la n° 2. En outre, les scientifiques observent que l’association positive entre surplus d’hommes et violence est la plus significative chez les hommes sans enfant, ce qui pourrait confirmer une hypothèse maintes et maintes fois attestée selon laquelle la paternité est un facteur atténuant de la brutalité masculine, sans doute et entre autres parce que la testostérone chute avec l’arrivée d’un enfant. Reste que les chercheurs n’ont pas été ici capables d’établir la direction de la causalité entre les deux phénomènes.
Comme l’écrivait Lionel Shriver (traduite par Françoise Cartano) dans Il faut qu’on parle de Kevin : « Malgré notre propension à confondre les deux sexes en répliques identiques, peu de cœurs se mettent à battre trop vite en croisant un groupe de gamines goguenardes. Mais toute femme croisant le chemin de jeunes racailles ivres de testostérone sans presser le pas, sans éviter le contact visuel susceptible d’accompagner le défi ou l’invite, sans soupirer intérieurement de soulagement en atteignant le croisement suivant, est zoologiquement folle. Le garçon est un animal dangereux. » La preuve, s’il en fallait encore une, qu’on peut ne pas être sociologue et faire tout de même preuve de sagacité.
Référence : tinyurl.com/QuandYEnABeaucoup
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