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Le conte cruel de Thomas Clavel

"Un traître mot", un roman dystopique sur la contrition linguistique


Le conte cruel de Thomas Clavel
Les Sorcières de Salem (1957) © RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA Numéro de reportage: 51420441_000001

La France dystopique d’Un traître mot, en plein totalitarisme linguistique, fait froid dans le dos.


Salubre et courageux premier roman que nous offre le jeune Thomas Clavel, qui enseigne le français en zone prioritaire. Le sujet d’Un traître mot, qui se révèle davantage conte philosophique que roman stricto sensu ? L’avènement d’une France où les crimes de langue seraient punis avec une toute autre sévérité que les crimes de sang, et ce à la suite de la providentielle promulgation, par un Parti présidentiel au faîte de sa puissance, d’une loi d’exception dite AVE, pour Application du Vivre Ensemble. L’imposture victimaire, la déconstruction gratuite et obligatoire, la traque des phobies les plus absurdes deviennent ainsi la règle, sans faire de bruit et dans ce qui ressemble à un lâche acquiescement de tout le corps social.

Dérapage verbal

Le héros de ce conte cruel, Maxence, jeune normalien pur sucre, spécialiste de Blanchot et enseignant à Paris III – le parfait bobo à trottinette dans sa bulle hyperprotégée – fait l’expérience du basculement en cours à la suite d’un dérapage verbal au téléphone. Trois mots de travers sur les Roms enregistrés avec zèle par sa correspondante, un article consacré à l’œuvre littéraire de Renaud Camus, la plainte d’une étudiante « issue de la Diversité » pour une note d’examen jugée oppressive et voilà notre blanc-bec mis en examen, traîné au tribunal, sommé de justifier ses écrits, et pour finir condamné à une peine de prison ferme.

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Les magistrats n’ont-ils pas été exhortés à sévir avec rigueur contre les crimes de parole, devenus plus impardonnables que les crimes de sang ? Les prisons ne se vident-elles pas de leurs délinquants coutumiers pour se remplir de pénitents, soumis à une rééducation lexicale ?

Thomas Clavel et ses livres
Thomas Clavel et ses livres

Maxime fera donc l’expérience de la taule (confortable, nous sommes bien dans un conte), où il révélera des qualités de meneur en créant un mouvement de résistance poétique qui, par l’apprentissage clandestin de l’impiété verbale, désintoxiquera les prisonniers du poison de l’idéologie. Maxence apprendra à ses camarades à feindre la contrition linguistique et, surtout, à se réapproprier leur héritage poétique.

Charge contre les nouveaux Tartuffe

Un conte, vous disais-je, contre le fanatisme et l’obscurantisme, ici progressistes. Une charge contre les nouveaux Tartuffe, rendue plus puissante encore par la structure double du récit, où vient s’enchâsser une description des prodromes de la guerre civile dans un Beyrouth encore paradisiaque.

Du beau travail d’écrivain, empli d’humour, au service de la vérité et de la probité.

Thomas Clavel, Un traître mot, La Nouvelle Librairie, 226 pages

Un traître mot

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écrivain et critique littéraire belge. Dernier livre : Les Nobles Voyageurs (Le Nouvelle Librairie, 2023)

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