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Un Tisha BeAv particulier

Pour l'Iran, la vengeance serait-elle un plat qui se mange froid?


Un Tisha BeAv particulier
Ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, s'approche du Mont du Temple, Jérusalem, le 13 août 2024. Ohad Zwigenberg/AP/SIPA

Les Iraniens auraient pu lancer une attaque contre Israël au moment du Tisha BeAv, jour de deuil qui commémore les calamités ayant frappé les Juifs au cours de l’histoire. S’ils ne l’ont pas fait, c’est sans doute qu’une offensive directe serait trop risquée et coûteuse, tandis que monnayer leur renoncement temporaire à la vengeance serait plus profitable, surtout face aux Américains. Tribune de Richard Prasquier, président d’honneur du Crif.


« Hélas, mon puits est devenu mon tombeau et le jour de lumière est devenu ténèbres ».

« Mon puits », la source de vie matérielle, se dit beeri en hébreu, et réfère au kibboutz Beeri, lieu emblématique des massacres du 7 octobre. « Le jour de lumière », c’est la journée de Simhat Tora, celle du 7 octobre 2023, ainsi nommée dans le Talmud. « Hélas », c’est la traduction du mot Eikha, titre du livre des Lamentations, qinot en hébreu, ces poèmes lyriques, récités la nuit de Tisha BeAv, que la tradition attribue au prophète Jérémie, pleurant, non pas seulement, comme on le dit, la destruction du Temple de Jérusalem, mais la détresse de la population judéenne.

Eikha ne signifie pas seulement « hélas », mais aussi « pourquoi ?», les deux émotions qui taraudent les Juifs dans le monde depuis 10 mois et qui ont donné à cette journée de Tisha BeAv, le neuf du mois de Av, la plus triste du calendrier liturgique juif, une tragique actualité.

Les drames encourus par les communautés juives au cours de l’histoire ont souvent suscité des élégies. Certaines ont trouvé leur chemin, global ou localisé, dans la liturgie de la journée. Ce ne fut pas toujours le cas et la Shoah notamment n’a pratiquement pas laissé de trace à Tisha BeAv. Beaucoup de décideurs orthodoxes, y compris certains qui y avaient perdu leur famille, s’y étaient opposés, prétextant que la liturgie était close. Il est frappant de constater que lorsque Leon Meiss, Président du Consistoire et du Crif, a sollicité une prière spéciale pour Tisha BeAv en 1946, il n’a obtenu qu’une proposition, celle des frères Neher. Leur texte, très émouvant pourtant, n’a pas été retenu. Au fond, la Shoah était, pour ceux qui l’avaient vécue eux-mêmes, une blessure trop vive pour être métabolisée sous forme de prière intemporelle et impersonnelle. 

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Mais il ne fait pas de doute que les massacres du 7 octobre 2023, dont le retentissement fut diffus et profond alors que le nombre des victimes, aussi nombreuses qu’elles fussent, n’était pas comparable à la quasi-extermination d’un peuple entier, prendront place dans la litanie des calamités du peuple juif. Peut-être « Qinat Be’eri », dont l’auteur, Yagel Haroush, JuIf orthodoxe de Yerucham, est un spécialiste du Maqam, ce système modal spécifique au monde islamique, et en particulier de la musique persane, restera-t-il dans la liturgie. 

On aurait souhaité que l’Iran n’impacte ce jour que de façon musicale….

C’est le 9 Av qu’a eu lieu la destruction du Temple de Salomon par les Babyloniens, du Second Temple par les Romains, l’expulsion des Juifs d’Angleterre puis celle des Juifs d’Espagne. C’est le 9 Av 1942 qu’ont commencé les déportations du ghetto de Varsovie vers les chambres à gaz de Treblinka. Celui qui a la fibre critique plus que mystique pensera que certaines de ces dates ont été volontairement choisies par les ennemis des Juifs comme un pied de nez à leur histoire et il ne manquait pas de commentateurs pour penser que les mollahs de Téhéran lanceraient leur attaque contre Israël à Tisha BeAv. 

C’était mon cas. J’avais oublié que, depuis le départ de Ahmadinedjad, qui avait tout d’un mystique apocalyptique bas d’intellect, ce sont des individus fanatiques mais retors qui sont aux commandes en Iran. Ils ne veulent pas risquer de perdre le pouvoir par des initiatives qui pourraient entrainer des réactions israéliennes violentes qui déclencheraient des désordres non maitrisables dans un pays où les mollahs sont haïs par la majeure partie de la population. Par ailleurs l’allié russe inspire ces jours-ci moins confiance que précédemment et les réactions du monde arabe à l’élimination de Haniyeh ont été plutôt molles.

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Certes, ils peuvent compter sur Erdogan, le plus toxique des maitres chanteurs, sur le Pakistan, la Malaisie et beaucoup de soutiens vocaux dans des populations sunnites chez qui la haine contre Israël prime les conflits inter-sectaires, mais en cas de guerre les Iraniens seraient seuls et, aussi fiers qu’ils prétendent l’être de leurs exploits du mois d’avril, ils savent que ceux-ci n’ont pas vraiment convaincu par leur efficacité. Enfin, une riposte israélienne risquerait de s’en prendre au nucléaire iranien avant que celui-ci ne soit opérationnel. 

C’est pourquoi les journaux iraniens suggèrent ces jours-ci que la vengeance est un plat qui se mange froid et qu’il y a d’autres moyens d’entrainer la panique dans le camp ennemi que de mener une offensive militaire classique. Ce qui sous-entend, entre autres, des opérations terroristes contre les intérêts israéliens et pas seulement en Israël…

Et puis, il y a les proxys : on pense avant tout au Hezbollah qui vient de perdre Fouad Chokr, son chef militaire. Ce brave homme, à la mort duquel le Président Macron a réagi en exprimant son inquiétude, était poursuivi par les Américains pour l’attentat qui, en 1983, avait tué 241 Marines à Beyrouth et a certainement été partie prenante dans l’attentat qui le jour même tuait 58 parachutistes français dans l’immeuble du Drakkar. Une vengeance qui se mange froid, certes, mais pas reconnue comme telle par la France et concoctée par un autre cuisinier…

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Enfin il y a la fibre morale dont l’Iran fait un usage particulièrement éhonté, mais qui risque d’être efficace. Prétextant de son droit à la vengeance après la mort de Haniyeh, rejetant comme impudentes les demandes des pays européens à ne pas déclencher la guerre, ce pays, qui est l’un des plus sanguinaires de la planète, va probablement essayer de monnayer son renoncement temporaire à celle-ci. L’époque est favorable, le gouvernement américain redoute d’être entrainé dans une guerre en pleine période électorale et voudrait tirer bénéfice politique interne d’un accord à Gaza. Voilà l’Iran prétendant qu’il ne répliquera pas si les pourparlers sur un cessez le feu aboutissent. Il veut laisser une porte de sortie à ce qui reste du Hamas, mais se donner l’image d’un partisan de la paix face aux extrémistes israéliens ne nuit pas à l’image, d’autant que le nouveau président iranien aura pour rôle de montrer un visage plus avenant de la dictature clérico-militaire qui a mis l’Iran en coupe réglée depuis 45 ans. 

Dans cette situation extrêmement délicate où le soutien américain est plus que jamais nécessaire, on n’est pas surpris que le cabinet du Premier Ministre israélien ait, pour une fois, critiqué vigoureusement les initiatives de son ministre Itamar Ben-Gvir commémorant sur le Mont du Temple un Tisha BeAv décidément inhabituel….



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