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Un seul espoir, la défaite


« Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables à cause du dérèglement des hommes », notait Pascal dans ses Pensées. C’est pourquoi le premier tour de la présidentielle porte l’observateur impartial à conclure que, pour la droite, le seul espoir serait celui de la défaite.

Au soir du 22 avril, sur TF1, quelques minutes seulement après l’annonce des résultats, le patron de l’UMP, Jean-François Copé, l’air plus matois, plus rusé, plus Raminagrobis que jamais, déclarait comme une évidence que la droite avait recueilli 48 % des suffrages, soit environ 28 % pour le candidat Sarkozy, et 20 % pour Mme Le Pen… La droite ? Les choses on le sait, sont un peu plus complexes, et le Front National, tout comme son électorat, ne s’accommode qu’imparfaitement de la grille d’analyse classique et de la dichotomie droite/ gauche. Mais bon, admettons : une droite à 48 %. Une droite qui, si l’on y ajoute une partie des électeurs de François Bayrou et ceux de Dupont-Aignan, apparaît largement majoritaire : une droite qui, au regard du principe démocratique fondamental, un homme égale une voix, devrait donc l’emporter sur une gauche qui, tout compris, atteint péniblement les 40 %.

Le problème, c’est que cette droite, bien que majoritaire, continue d’être paralysée par la malédiction politico-morale pesant sur la prétendue « extrême droite ». Le fait que le programme de cette dernière ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du RPR des années 80, que ses valeurs et ses références soient empruntées pour l’essentiel au général De Gaulle, que son leader, née 24 ans après la Libération, soit peu suspecte d’avoir collaboré avec les nazis, le fait enfin que bon nombre de ses cadres soient issus de la mouvance chevènementiste, n’y change rien. On ne dîne pas avec le diable, même avec une grande cuillère, et même quand ce n’est pas le diable : ce qui fait qu’en définitive, on ne mange pas très souvent. Le coup de génie de Mitterrand, plus machiavélique que jamais, qui permit au Front National de prendre son essor tout en prononçant un anathème perpétuel contre toute tentative d’alliance avec lui, a fragilisé la position de la droite depuis un quart de siècle- et ouvert régulièrement les portes du pouvoir à une gauche minoritaire. Mitterrand, qui croyait aux forces de l’esprit, en rigole encore. Le piège a fonctionné bien au-delà de ses espérances – avec la complicité résignée d’une droite dite républicaine qui n’a pas voulu prendre le risque de l’alliance et n’a en outre jamais osé retourner l’argument moral contre la gauche socialiste. En n’ayant pas eu l’audace de dénoncer l’alliance du PS avec le parti qui déclarait jadis que « Staline est l’homme que nous aimons le plus », la droite perdait automatiquement le droit de juger les autres.

En montant le piège où la droite modérée, Jacques Chirac en tête, s’empressa de tomber la tête la première, Mitterrand, fin connaisseur de l’histoire de France, dût songer à l’inimitié mortelle qui, au début des années 1870, opposa entre eux légitimistes et orléanistes, les deux groupes qui formaient alors la majorité monarchiste à l’Assemblée nationale. Une inimitié sans véritable justification politique, mais qui, à l’époque, permit à une minorité républicaine unie d’empêcher toute restauration de la monarchie, et de faire adopter la république par une majorité de royalistes qui en avaient horreur.
Cependant, avec un candidat frontiste qui, dépassant les 18 %, représente objectivement près de la moitié de la « droite », une telle situation n’est plus tenable. Elle ne l’est plus, sauf à se résigner à une attitude suicidaire, celle des royalistes de 1870. Du point de vue de la droite, il paraît donc urgent de faire « bouger les lignes », comme Jean-François Copé semble du reste l’avoir admis en parlant de cette droite comme d’un ensemble homogène- et en précisant qu’il n’y incluait pas les électeurs du Modem, ce qui suppose que ces derniers seraient au fond plus éloignés de l’UMP que ne le sont les électeurs frontistes… Si la droite constitue désormais un ensemble, et que, comme l’a fait le président Sarkozy dès le soir du premier tour, on peut piocher dans le programme frontiste sans avoir à s’en excuser, qu’est-ce qui empêche de faire sauter les verrous, et de considérer que le Front National est un mouvement comme un autre, avec lequel on peut débattre, négocier et même s’allier sans perdre son âme ?

Ce qui l’empêche ? Un quart de siècle d’habitudes, de réflexes, de pudeurs et de soumission à ce que ses adversaires ont défini comme politiquement correct. Et comment déraciner tout cela ? Sans doute en éprouvant soi-même, très concrètement, les conséquences inévitables d’une telle attitude : bref, en perdant des élections que, numériquement, on aurait dû remporter. La potion est amère, et c’est sans gaieté de cœur que la droite devrait se résigner à la prendre : un électrochoc n’est jamais plaisant. Mais y a-t-il un autre moyen, pour elle, de s’extirper enfin du piège inventé par François Mitterrand ? Et y aura-t-il d’autres occasions ? C’est après leurs cuisantes défaites électorales de 1876 et 1879 que les royalistes de la IIIe République renoncèrent enfin à leurs dissensions, et acceptèrent de constituer un grand mouvement conservateur. Malheureusement, il était trop tard, l’heure était passée…



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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