Pour tout dire, quand il m’arrivait – pas si souvent que cela d’ailleurs – de croiser, à la fin de mes vingt années de ZEP, des femmes en burqa, j’éprouvais à titre personnel un véritable sentiment de tristesse plus que de colère. Un très vieux fond judéo-chrétien me renvoyait, évidemment, à je ne sais quelle obscure culpabilité. Ces burqa ou même simplement ces foulards et ces hidjab chez des filles de plus en plus jeunes, c’était de ma faute.
Oui, j’aurais pu, nous aurions pu peut-être empêcher ça, empêcher que ne se referment sur la République les deux mâchoires du même piège à cons. D’un côté, à l’intérieur de l’école, le pédagogisme béat inconsciemment ethno-différentialiste et, à l’extérieur, des gouvernements de gauche ou de droite qui juraient qu’il n’y a pas d’alternative au néo-libéralisme, qui lui, pour le coup n’était pas voilé mais complètement échevelé. Nous aurions pu, mais nous étions si peu nombreux, soldats d’une armée qui n’avait plus envie de gagner la bataille de l’émancipation.
Le résultat était là : les corps gracieux, amis de l’espace, dans la ville aux friches industrielles refondées en théâtre d’art contemporain, avaient en quinze ans à peine cédé la place à des corps fantômes qui prouvaient mieux que n’importe quelle statistique économique que le repli identitaire s’était substitué à la lutte des classes.
Nous nous souvenions dans notre ville, au milieu des années 1980, que les premières revendications sur le voile étaient paradoxalement apparues chez des filles « qui s’en étaient sorties », élèves en hypokhâgne et en khâgne. Mais bien sûr, comme souvent, le paradoxe n’était qu’apparent. Ces jeunes filles qui lisaient Plutarque à main levée avaient dû tout prendre, tout arracher pour en arriver là. Rien ne leur avait été donné : elles avaient dû lutter contre une école qui gérait leur relégation sous les ripolinages de plus en plus délirants de « projets » pédagogiques qui étaient autant de villages Potemkine, elles avaient dû, souvent, lutter contre le grandfratriarcat encouragé par les anges de l’antiracisme comme vaseline sociale pour maintenir un semblant de vie familiale dans les quartiers.
Alors, le voile en hypokhâgne. Pour dire merde. Pour dire non. Pour mettre le système face à ses contradictions. « Oui, j’ai eu mention très bien au bac philo mais ce n’est pas grâce à votre école, à vos associations, à votre feinte compassion, à votre vrai mépris. » Qu’on regarde, pour se faire une idée de ce que je dis, les déclarations de Jeannette Bougrab, la nouvelle présidente de la Halde, dans un récent portrait d’elle dans la presse. Des choses du genre, alors qu’elle est une brillante élève de terminale C, « vous devriez faire infirmière plutôt que médecin ». Tout ça dit par des profs qui devaient probablement voter socialiste.
À droite, entre parenthèses, cela devrait calmer les idées reçues sur un enseignement tenu par des profs marxistes. S’ils avaient été majoritairement et efficacement marxistes, les profs en question, ce n’est pas avec un voile sur la tête qu’elles seraient arrivées en classe prépa, les beurettes, mais avec au mieux la carte du parti communiste ou de la LCR et au pire un cocktail Molotov. Mais non, les profs étaient sous la férule de Meirieu, lui-même devenu hiérarque d’Europe écologie. Vous voyez bien, amis de droite, que vous ne risquez plus grand chose de cette engeance-là
Alors le voile, ce voile de jeunes intellectuelles révoltées comme affirmation sans issue.
Maintenant, nous n’en sommes plus là, évidemment. Il n’y a que quelques sociéto-démagos du NPA pour faire croire qu’une candidate voilée, ça fait partie de la France d’aujourd’hui qui concilierait émancipation et signes religieux ostentatoires.
En tout cas, je ne sais pas qui était à la manœuvre, mais c’est réussi.
Parce que plus ça va sur cette question, moins ça va. André Gerin, sénateur maire communiste, est monté au feu sur la question et a initié une commission parlementaire sur la burqa, pointe avancée de cette névrose identitaire. Moi, Gerin, je lui faisais confiance. Il allait bien resituer le problème : le chiffrer, le circonscrire, faire le lien entre burqa et misère sociale, plus qu’entre burqa et je ne sais quelle invasion islamiste. Ou alors, mais ça revient au même, lier intégrisme religieux et relégation économique.
Mais voilà, Copé, brillant stratège, tout à sa carrière et à son opposition à Sarkozy, a grillé la politesse de la commission et réclamé une loi. La loi que finalement vient de proposer le président un peu inquiet tout de même par sa récente hémorragie électorale. Et avec une remarquable constance dans l’aveuglement, toujours persuadé qu’elle est due, cette déroute, à un traitement insuffisant de l’immigration et de l’insécurité alors que le FN doit son succès, avant tout, à une campagne sociale.
Comme vient de nous l’expliquer notre chère rédactrice en chef, cette loi qui prévoyait une interdiction totale de la burqa a été déclarée contraire au droit par le Conseil d’état. Il faudrait donc d’après Elisabeth que le président appelle à un référendum.
Un référendum sur la burqa, quand on propose moins de cent cinquante euros aux Conti pour aller bosser en Tunisie, ne nous semble pas une priorité mais bon, admettons.
Eh bien, je dis : « Chiche ! »
Je dis chiche parce que la burqa est devenue plus qu’un symbole ; elle est devenue la cristallisation de toutes les peurs et les frustrations des uns et des autres. Il faut effectivement laisser la parole au peuple. On a parfois de bonnes surprises : le referendum de 2005 a été assez amusant, dans le genre.
Je suis certain que dans l’esprit d’Elisabeth, il ne pas de stigmatiser qui que ce soit mais qu’elle le propose au nom d’une ligne républicaine forte, au nom de l’égalité.
Mais si je lui fais confiance à elle, ce n’est pas le cas pour beaucoup d’autres qui refuseront d’articuler cette interdiction sur la question sociale et trouveront là un prétexte juridique à un vote aimablement raciste.
Alors pour dissiper tous les doutes, je propose que le libellé de la question soumise à nos compatriotes soit le suivant : « Etes vous favorable à l’interdiction totale de la Burqa et pour un smic à 2500 euros ? »
Il aurait été plus simple de mettre tout de suite le smic à 2500 euros pour faire disparaître la burqa, mais bon, je ne vais pas sombrer dans l’utopie, non plus…
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