Le sympathique Jérôme Blanchet-Gravel part à la conquête du Mexique. Et y découvre une vitalité que nos sociétés occidentales obnubilées par le tout-Covid peuvent lui envier.
Dans un style alerte et limpide, notre ami signe Un Québécois à Mexico (Éditions de l’Harmattan), un réjouissant ouvrage sur son rêve mexicain. Nous venons d’en terminer la lecture.
Du Pays des morts au pays des morts-vivants
C’est l’histoire d’un homme qui, par curiosité, débarque à Mexico. L’histoire d’un homme qui, quand il y pose les pieds, ne sait pas encore qu’il vient d’être happé. Happé par sa vigueur culturelle, happé par son identité marquée, happé par sa capacité à assimiler l’Autre sans jamais tailler une seule de ses propres racines. « La dualité fondatrice », comme l’a conceptualisé l’essayiste Octavio Paz en 1950. Ni préhispanique, ni espagnol, le Mexique est né de la rencontre volcanique entre deux mondes, et l’on ne peut rien comprendre de ce jeune pays si l’on ne prend pas en compte cet élément.
Dans ce magma qui bouillonne depuis l’aube du 1er juillet 1520, cette « Noche Triste » où Hernan Cortés et ses hommes ont bien failli y passer, Jérôme Blanchet-Gravel déambule et se passionne. Il y a peu nous nous y sommes croisés, dans le « nombril de la Lune », comme ils disent là-bas.
Les yeux pétillants de fascination, Gravel. Épaté par tout, Gravel (il n’est pas le seul). Tel un Hernan Cortés s’extasiant il y a six siècles des splendeurs du marché de Tlatelolco (prenez le bus numéro 1 depuis le centre de Mexico) dans ses premières lettres à Charles Quint, Jérôme Blanchet-Gravel nous conte sa relation fusionnelle avec le Pays des morts. Il est d’ailleurs cocasse qu’à l’heure où, en France, un manuel scolaire de lycée suggère d’organiser pour les élèves un débat « faut-il déboulonner les statues ?», Gravel nous glisse s’être marié « à la mairie de Coyoacàn, dont l’emplacement correspond aux anciens quartiers généraux du célèbre conquistador Hernan Cortés ».
L’Occident à bout de souffle
Mais là où ça devient vraiment intéressant, c’est qu’il ne se contente pas d’une compilation d’impressions d’un converti à la foi mexicaine, mais qu’il place son expérience en contre-pied de la société québécoise. Avec l’arrivée des premiers enfermements, le retour (provisoire) au Québec a l’air d’un séjour en enfer. « Au printemps 2020, le Québec venait tout d’un coup de découvrir l’enfer des CHSLD, sortes de camps de vieillesse dont on ne connaissait que l’acronyme (Centre d’hébergement et de soins de longue durée) ». « Il apparut évident que le Québec pratiquait une forme d’apartheid générationnel sans l’admettre tout en continuant de s’imaginer prolonger une grande et belle histoire de famille », et j’en passe. Il apparaît évident aussi qu’avec des propos si lapidaires, Gravel ne va pas s’y faire que des amis, au Québec. Et surtout, il apparaît évident à la lecture de ce livre que le Pays des morts n’est peut-être pas celui que l’on croit. De la ferveur du Mexique à l’aseptisation du monde occidental, il y a un gouffre qui pourrait bien profiter au premier.
Entre un Occident à bout de souffle et un rêve mexicain ininterrompu, le choix est vite fait. Pour autant, que l’on ne s’imagine pas qu’il s’agit des aventures de Candide au Mexique. La face obscure du pays du bruit y est longuement relatée et analysée. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit de l’analyse d’un Occidental qui, le recul aidant, doit bien constater qu’à partir du moment où la crainte de vivre l’emporte sur la vie, on peut considérer qu’une société est finie. « Le Canada maintient ses habitants dans un confort si abrutissant qu’il finit par tuer en eux les forces les plus vives, les plus naturelles. Il faut du recul pour voir que la sécurité n’y est plus un moyen, un outil pour s’émanciper, mais un véritable idéal. Vivre sa vie en prenant le moins de risques possible : telle est une philosophie bien canadienne ». Et peut-être même occidentale ? Quoi qu’il en soit, exercice brillant.
Un québécois à Mexico: Récit d'un double choc culturel
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