Benoist Apparu a annoncé qu’une nouvelle « taxe sur les microsurfaces » serait débattue dans le cadre de la loi de finances 2012. Le gouvernement entend ainsi dissuader les propriétaires de petits logements – d’une dizaine de mètres carrés, autant dire des chambres de bonne – de pratiquer des loyers jugés « abusifs » par le ministère de l’Ecologie.
Dans son principe, cette mesure consiste à taxer les loyers au-delà d’un seuil fixé à 40 euros le mètre carré (hors charges) selon un barème progressif par tranches de 10% à 40%.
Par exemple, selon le porte-parole du ministère, « une chambre de 10 mètres carrés, louée 800 euros, dépassera de deux fois le seuil et se verra appliquer un taux de 40%, soit 320 euros de taxe ».
Raisonnons un instant. Si, comme M. Apparu l’affirme, l’objectif du gouvernement est de faire baisser le montant des loyers, il doit faire en sorte que les bailleurs aient matériellement intérêt à réduire le niveau des loyers qu’ils réclament à leurs locataires. Par exemple, pour que le bailleur d’une chambre de 10 m² soit incité à baisser un loyer de 444 euros, il faut le taxer à hauteur d’au moins 10%. De cette manière, il ne gagne que 399,6 euros et a donc intérêt à ramener son loyer à 400 euros pour ne plus payer d’impôt. En revanche, taxer un loyer de 445 euros à un taux de 10% n’est pas suffisant puisque le bailleur gagne alors 400,5 euros et n’a donc pas intérêt à réclamer moins à son locataire. Conclusion : il faut passer à la tranche supérieure.
En généralisant ce raisonnement, on peut établir un barème incitant les bailleurs à diminuer le montant des loyers supérieurs à 40 euros/m² : les loyers compris entre 40 et 44,4 euros/m² doivent être taxés à 10% minimum; de 44,5 à 49,9 euros/m², il faut les taxer à 20% minimum; de 50 à 57,1 euros/m² appliquer un taux minimum de 30% et de 57,2 à 66,6 euros/m² le taux devra être au moins égal à 40%.
Seulement, si vous appliquez ce barème, vous vous apercevrez que la meilleure stratégie pour un bailleur consiste toujours à baisser son loyer à 40 euros par mètre carré. Vous pouvez le vérifier facilement en prenant n’importe quel loyer compris entre 40 et 66,6 euros et en lui appliquant le taux correspondant : dans tous les cas, vous obtenez une somme inférieure à 40 euros qui pousse le bailleur à réduire son loyer jusqu’à un niveau non-imposable.
En pratique, l’usage de ce barème revient à plafonner les loyers actuellement compris entre 40 et 66,6 euros à 40 euros le mètre carré[1. Monsieur Apparu jure que l’intention du gouvernement n’est pas de plafonner les loyers ; nous mettrons donc ça sur le compte de la maladresse.].
On peut imaginer que le gouvernement adopte un autre barème mais ce sera au prix d’effets de seuil pour le moins rocambolesques. Par exemple, imaginez que l’on taxe les loyers de 40 à 50 euros le mètre carré à hauteur de 10%. Dans cette hypothèse, les loyers compris entre 40 et 44,4 euros baisseront tous à 40 euros tandis que ceux compris entre 44,5 euros et 50 euros ne bougeront pas puisque taxés à 10%, ils restent plus intéressants pour le bailleur qu’un loyer de 40 euros. Un loyer de 46 euros taxé à 10% rapportera 41,4 euros au bailleur ; pourquoi le ramènerait-il à 40 euros si ce n’est par amitié pour son locataire ou par haine pour Bercy[2. L’un comme l’autre sont tout à fait plausibles.] ?
En revanche, l’exemple du porte-parole du ministère pose problème puisqu’avec un taux maximum de 40%, ce mécanisme cesse de fonctionner pour les loyers au-dessus de 66,7 euros. Pour reprendre l’exemple gouvernemental, un loyer de 80 euros taxé à 40% laisse 48 euros dans la poche du bailleur ; et 48 euros, ça reste supérieur à 40 euros.
Résumons : si le gouvernement applique effectivement ce barème, il incite de facto les bailleurs qui louent aujourd’hui entre 40 et 66,6 euros du m² à réduire les loyers à 40 euros, ce qui revient à plafonner les loyers. En revanche, à partir de 66,6 euros/m², le taux maximum de 40% n’a plus d’effet incitatif et ces loyers n’ont aucune raison de varier d’un iota, au moins dans un premier temps.
Et maintenant un peu d’économie…
Si les prix des petits studios sont si élevés, notamment dans la capitale, c’est parce que l’offre y est très rare et que la demande solvable très élevée [3. Je laisse à chacun le soin de deviner pourquoi l’offre est si rare et pourquoi la demande solvable si élevée.]. J’insiste sur cette notion de demande solvable : si les gens ne pouvaient matériellement pas payer de loyer à 60 euros le mètre carré, il n’y aurait pas de transaction à ce prix et donc pas de prix du tout. Or, quiconque a déjà voulu louer une chambre de bonne à Paris vous le confirmera : à ces prix stratosphériques, les locations partent comme des petits pains. Qu’on le veuille ou non, les prix jugés « abusifs » par le ministère reflètent la réalité du marché que Monsieur Apparu entend mettre au pas.
Il y a fort à parier que les baisses de loyer effectives ne concerneront qu’une infime minorité des petites surfaces visées par la loi. Une partie des surfaces aujourd’hui louées entre 40 et 45 euros le mètre carré reviendront à 40 euros. Partant, le nombre de chambres de bonnes disponibles à la location se contractera significativement. Il n’y en avait pas assez ? Il y en aura encore moins.
Logiquement, les loyers des biens restant à la location grimperont massivement au-delà de la barre des 66,6 euros/m².
In fine, Monsieur Apparu – ou son successeur – proposera, dans cet ordre : une loi de plafonnement effectif des loyers, une loi taxant les propriétaires qui ne louent pas leurs biens et une loi de réquisition des logements non-habités en région parisienne.
D’autres idées lumineuses ?
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