Jusqu’ici, la Révolution française n’avait pas été gâtée par le cinéma. Oui mais ça, c’était avant. Avant Pierre Schoeller et Le Peuple et son roi.
On pouvait légitimement être inquiet. S’il est bien un événement de notre histoire nationale que le cinéma français et étranger a plutôt maltraité depuis 1895, ce sont bien la Révolution française et ses différentes étapes. Entre un Renoir dont le projet très à gauche, puisque financé par la CGT et le PCF, aboutit finalement à un film sans grande saveur (La Marseillaise) et un Guitry dont le compteur anecdotique reste symboliquement bloqué sur la royauté et son lieu d’exercice (Si Versailles m’était conté), entre le ci-devant Philippe de Broca, qui fait coup double avec une comédie réac, mais plaisante à suivre (Les Mariés de l’An II), et un gros gâteau vendéen assez ridicule (Chouans !), et l’ex-camarade polonais Wajda, qui ne mesure pas bien le mal qu’il fait à Walesa en le comparant de facto au corrompu Danton face à Robespierre (Danton) – et dont le parallèle avec Jaruzelski ne tient en définitive qu’à travers le recours à des lunettes qui font écran, cerclées pour le premier et fumées pour le second –, on en passe et des pires. Rarement des meilleurs, avec une petite tendresse coupable pour le film d’Ettore Scola, La Nuit de Varennes, description nostalgique d’un monde qui se meurt, figuré par le génial Mastroianni en Casanova vieillissant, tendance Arthur Schnitzler, et le non moins parfait Jean-Louis Barrault en Nicolas Rétif de la Bretonne. Mais, quoi qu’il en soit, le compte et le conte n’y étaient pas : un film qui, tout en respectant le réel, accepterait de figurer la légende. Autrement dit, un film qui prendrait à bras le corps l’Histoire et ses démons tout en faisant du cinéma, donc du spectacle.
L’effondrement de l’Etat
C’est précisément parce que ce pari est profondément stimulant pour un cinéaste qu’on se disait naïvement que le 7e art aurait pu s’emparer de 1789 et de sa suite avec plus d’allant et de passion. Mais non, puisqu’il aura fallu attendre 2018 et le nouveau film de Pierre Schoeller, Un peuple et son roi, pour découvrir un film très souvent à la hauteur de cet enjeu. Rappelons pour mémoire que le précédent film du citoyen-cinéaste Schoeller s’appelait L’Exercice de l’État, l’un des rares films français qui « décrive », sans la caricaturer, la vie de cabinet ministériel. En passant la vitesse supérieure, pour s’attaquer à un événement historique fondateur, Schoeller a réussi son pari.
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S’ouvrant sur une superbe scène, avec le roi dans un rituel religieux qui se veut intemporel, et se terminant sur la définitive séparation en deux du corps de Louis Capet, un certain 21 janvier 1793 sur la place dite alors « de la Révolution », à Paris, le film place ainsi en son centre allégorique la figure du camp d’en face. Dans la première scène, seuls des enfants dudit peuple font face au monarque confit en humilité dévote et l’un d’eux d’un mot cruel annonce la suite. Dans l’autre, le roi sur son échafaud est entouré par la foule de son peuple, bien décidé à tourner la page.
On sait gré à Schoeller de ne pas évacuer l’idée même de « scènes historiques », qui sont comme des moments de bravoure cinématographique, souvent réussis dans le film. Comme on lui est reconnaissant d’en « inventer » d’autres, à l’instar de cette découverte de la lumière du soleil (et des Lumières évidemment) par les petits artisans des faubourgs qui jouxtent la masse noire de la Bastille, laquelle jusqu’à présent, et avant sa méticuleuse destruction pierre par pierre, leur cachait tout simplement la clarté du jour. D’aucuns pourront juger la métaphore grossière. Elle l’est d’autant moins que la prise de cette prison quasi déserte est précisément la quintessence de ces moments qui sont des sommets d’ambiguïté durant lesquels tout se passe sans que rien ne change, comme on dit dans Le Guépard. Ainsi va le beau film de Pierre Schoeller, dont l’exigence artistique et le souffle indéniables tranchent avec certaines productions françaises qui prennent leurs spectateurs potentiels pour des moins que rien.
On sort frustré
Alors certes, il ne s’agit pas en deux heures seulement de « raconter » la Révolution française. On est en sortant frustré et de Valmy et de La Marseillaise, tous deux absents ; et, pour n’évoquer qu’eux, on peut également être irrité par le petit tribut apporté à l’air du temps, avec une valorisation du rôle des femmes, tout en donnant acte au réalisateur qu’il ne cite heureusement ni Théroigne de Méricourt ni Olympe de Gouges à une époque où, si l’on en croit certains manuels scolaires, elles seraient à elles seules l’esprit de 89 ! Et l’on retient bien plus le soin accordé à l’image, qui fait ressembler certaines scènes d’intérieur à des tableaux de Georges de La Tour, ainsi que la réussite des dialogues et, globalement, l’ « équilibre » du propos qui renvoie Furet et ses thuriféraires à leurs caricatures, sans tomber pour autant dans un aveuglement aussi enthousiaste qu’anachronique. Décidément, la Révolution vue par Schoeller, ah ! ça ira, ça ira, ça ira, refrain et couplets.
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