Notre contributeur Alain Destexhe revient d’Israël. Il a visité des villages attaqués dans le sud par le Hamas et dans le nord par le Hezbollah. Dans la vieille ville de Jérusalem, vide de touristes, il a également recueilli des réactions de Palestiniens. Causeur publie son journal de bord (1/2)
Jour 1 – Arrivée
Dès l’enregistrement à l’aéroport Charles de Gaulle, on comprend qu’Israël est un pays à part. Le comptoir d’El Al se trouve tout au fond du terminal 2B, protégé par deux policiers dont l’un porte en bandoulière un énorme fusil mitrailleur et une dizaine d’agents de sécurité de la compagnie. (…) Il n’y a plus que la compagnie nationale pour se rendre en Israël, toutes les autres ayant annulé leurs vols. Le site d’Air France propose à nouveau des réservations à partir de… janvier 2024. L’avion est équipé de leurres pour se défendre contre une attaque de missiles. (…)
Je suis assis à côté de deux grands adolescents, parisiens, qui font un an d’études religieuses près de Tel-Aviv, un choix personnel disent-ils, encouragé, mais pas imposé par leurs parents. Quand ils ne sont plus absorbés par leurs jeux vidéo, nous entamons la conversation. À Paris, ils fréquentent des écoles communautaires juives, l’un dans le 13ᵉ et l’autre dans le 19ᵉ. Elles sont protégées par des plots de béton, les fenêtres extérieures sont blindées et recouvertes de barreaux et on y pénètre à travers un sas à double porte et la police est présente au début et à la fin des cours. (…) Où se voient-ils vivre plus tard ? Ils sont attachés à Paris et à la France, mais « l’État ne peut pas nous protéger, il ne peut pas mettre des policiers partout, donc nous devrons peut-être un jour aller vivre en Israël ».
En sortant de l’avion à l’aéroport Ben Gurion, on est accueilli par un panneau « shelter » (abri) avec une flèche vers où se diriger en cas d’attaque de missiles. Les flèches mènent… dans les toilettes. Tout au long d’un large couloir en pente, les photos des otages dont celles, bouleversantes, de plusieurs bébés. L’aéroport est quasiment vide. (…)
Dans le taxi, le chauffeur fait mon éducation sécuritaire. D’abord, télécharger l’application Tzofar qui alerte sur les attaques de missiles. Lorsque le bip sonne, on a une minute pour se mettre à l’abri. C’est peu, selon moi. « C’est assez », me dit, rassurant, le chauffeur. La semaine dernière, une alarme s’est déclenchée sur l’autoroute qui mène à Tel Aviv. Toutes les voitures, me raconte-t-il, se sont rangées, les chauffeurs sont sortis précipitamment de leur voiture pour se protéger le long d’un mur de béton. (…)
À l’hôtel, on me montre l’abri au sous-sol, mais « je peux aussi me réfugier dans la cage d’escalier » dont les murs de béton sont très épais. Tel-Aviv est une ville agréable, comme la plupart des villes au bord de la mer. Restaurants et cafés sont ouverts, mais peu fréquentés depuis le 7 octobre. Quelques jeunes jouent au volley-ball sur la plage. En apparence, il règne une atmosphère « normale » mais sur un rond-point très fréquenté du centre-ville, je tombe sur une fontaine, entourée des portraits des otages et des personnes assassinées le 7 octobre, avec des dizaines de sabliers géants symbolisant le temps qui passe affreusement pour ces otages. Ceux-ci sont omniprésents dans le cœur des Israéliens.
Au sud, à 60 kilomètres d’ici, ces personnes croisées ont sans doute un fils, une fille ou un cousin qui se bat dans l’enfer de Gaza. En voyant cette ville dynamique, prospère et ouverte où on entend parler toutes les langues, en se promenant sur l’agréable bord de mer bien aménagé, on ne peut s’empêcher de penser aussi à ces abrutis du Hamas. Gaza aurait pu, pourrait être une autre Tel-Aviv. On dit souvent Singapour ou Hong Kong, mais Tel-Aviv est là juste à côté ! Tel Aviv, avec ses terrasses, ses bars et ses restaurants, avec ces jeunes femmes en robe, en short ou en pantalon qui se promènent seules, Tel-Aviv avec un air de liberté, qui vous donne l’impression d’être en vacances dans une ville européenne.
À Gaza, qui est à une heure en voiture, où je suis allé à deux reprises, a toujours régné une atmosphère de plomb avec la propagande islamiste omniprésente, avec ses femmes voilées qui disparaissent à la tombée du jour, ses rares cafés réservés aux hommes, et cette bande de tarés qui, au lieu de copier Tel-Aviv, ont préféré construire des dizaines ou des centaines de kilomètres de tunnels dans le seul but d’envoyer des missiles sur les villes israéliennes et pour le plaisir éphémère d’un jour, massacrer des juifs en sachant pertinemment à quelles représailles ils exposaient les Gazaouis.
Jour 2 – Départ pour le nord d’Israël, à la frontière du Liban
Nous empruntons l’autoroute Yitzhak Rabin (…). On longe un moment la barrière de séparation avec le territoire contrôlé par l’Autorité palestinienne, puis la ville mythique de Nazareth et plusieurs gros villages arabes. (…) Quand on se rapproche du nord, la circulation se raréfie pour progressivement disparaître, remplacée par des check-points militaires que nous franchissons sans problème. On arrive dans des villes fantômes, des centres commerciaux et des stations-services désertées.
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Très rapidement, après le 7 octobre et les bombardements du Hezbollah au nord simultanés de ceux du Hamas au sud, les habitants sont partis, soit de leur propre initiative, soit évacués par l’armée et, pour ces derniers, relogés dans des hôtels réquisitionnés. Selon nos interlocuteurs, c’était le chaos, balangan (le bo..el, en hébreu). Aucun plan d’évacuation n’avait été prévu pour certaines communautés qui n’avaient plus été visées depuis la guerre du Liban en 2006. Toute l’économie d’une région basée sur l’agriculture et le tourisme s’est effondrée. L’université de Tel-Hai comptait 5 000 étudiants qui sont tous partis du jour au lendemain, la plupart pour rejoindre l’armée. Les universités israéliennes sont fermées et, dans le nord, même assez loin de la frontière, l’enseignement primaire et secondaire est suspendu : avec la menace permanente des roquettes, les parents ne peuvent prendre le risque d’envoyer leurs enfants à l’école.
Les roquettes, il en tombe tous les jours. Nous nous arrêtons dans la ville de Kiryat Shmona, 24 000 habitants avant la guerre, moins de deux mille aujourd’hui. Au nord, derrière la colline et au loin, c’est le Liban, au nord-est, on voit le Mont Hermon, la plus haute montagne d’Israël qui culmine à 2 814 mètres avec les seules pistes de ski du pays, puis plus à l’est, le Golan conquis par Israël pendant la guerre des six jours en 1967. D’ici, on mesure encore mieux l’encerclement du pays : cette partie du nord forme une encoche entre le Liban et la Syrie et il peut pleuvoir des missiles venant des deux pays hostiles.
A Kiryat Shmona, le silence est seulement troublé par le bourdonnement incessant des drones de l’armée et, chaque jour, par les sirènes alertant ceux qui restent de l’imminence d’une attaque : ils n’ont alors que… quinze secondes pour se mettre à l’abri. Hier, onze roquettes ont explosé. Entre la menace du Hezbollah au nord et celle du Hamas au sud, c’est près de 200 000 personnes qui sont déplacées à l’intérieur du pays (…) ce qui correspond à l’échelle de la France à plus d’un million de déplacés, soit le nombre de Français rapatriés d’Algérie. (…)
Ces déplacés pourront-ils rentrer chez eux ? Peut-être ceux du sud si le Hamas est vaincu, mais ceux du nord ? À quoi bon rentrer chez soi, dans une région à l’économie dévastée, si c’est pour vivre sous la menace et devoir à nouveau évacuer dans un mois, un an ou cinq ans, nous disent plusieurs personnes. Ce qui pose la question du Hezbollah. Parlant de la guerre froide, Raymond Aron écrivait en 1947 sa célèbre formule « paix impossible, guerre improbable ». Ici, entre Israël et le Hezbollah, ce serait plutôt « paix impossible, guerre probable »…
Jour 3 – Rencontre avec des victimes du 7 octobre (Netiv HaAsara)
Le moshav – une communauté agricole – de Netiv HaAsara se trouve, littéralement, à cent mètres du mur qui ceinture la bande de Gaza, pas loin d’un des deux points d’accès, celui de Eretz au nord. C’est le village israélien le plus proche de l’enclave, il comptait un peu plus d’un millier d’habitants. (…) Le 7 octobre à l’aube, le village a été attaqué par les djihadistes, par voie terrestre et par trois ULM. Vingt personnes ont été assassinées, mais le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd, car pendant de longues heures, personne n’est venu à leur secours.
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Les événements à Netiv HaAsara illustrent les failles de l’armée et du renseignement israélien. De l’autre côté de la clôture, à quelques dizaines de mètres, le Hamas avait installé des mois plus tôt un mirador d’observation surplombant le village. Les autorités militaires en avaient été informées, de même que, les semaines précédant l’attaque, d’exercices militaires parfaitement audibles à une si faible distance. Deux jours avant l’attaque, les préparatifs s’étaient même intensifiés, sans susciter de réaction. Du haut de ce mirador, le jour de l’assaut, le Hamas a détruit les caméras de surveillance, le système d’ouverture de la porte principale du moshav et le système de tir automatique qui s’active en cas d’intrusion, un scénario sans doute pas très compliqué à envisager, mais personne n’avait imaginé une sortie des djihadistes hors de la bande de Gaza.
Comme ailleurs dans les villages frontaliers, celui-ci a vécu des épisodes tragiques et héroïques à la fois. Les abris étaient prévus pour résister aux roquettes, pas à une attaque terrestre, les portes ne pouvaient pas toujours être fermées de l’intérieur. Un père de famille, Gil Taasa, s’était mis à couvert avec ses deux jeunes fils, les djihadistes ont lancé une grenade et cet homme courageux s’est couché dessus pour les protéger. Les deux garçons ont survécu, le corps criblé d’éclats, mais l’un en a reçu plusieurs dans l’œil. C’est la protection civile du village qui a assuré la défense et a tenu bon pendant sept heures avant l’arrivée de l’armée.
Outre la bravoure des défenseurs, si le bilan n’est pas plus lourd, c’est que le village n’a été attaqué « que » par une dizaine de djihadistes, certains habitants voyant passer des véhicules en trombe sortant de Gaza pour se rendre plus loin. Contrairement à la plupart des autres bourgades, celle-ci était entièrement autonome et n’employait pas de travailleurs arabes venus de Gaza. On sait que ceux-ci, volontairement ou non, ont renseigné le Hamas dans les moindres détails. Chaque vendredi, ils devaient rentrer à Gaza, 17 000 espions potentiels du Hamas venaient ainsi chaque semaine travailler en Israël où ils pouvaient gagner jusqu’à six fois plus qu’à Gaza.
Comme tous les autres habitants proches de la bande de Gaza, ceux de Netiv HaAsara ont été évacués. Nous les rencontrons dans un hôtel de Tel-Aviv. Ils sont traumatisés, n’ont plus de travail, leurs plantations sont détruites (…). Ces agriculteurs israéliens n’occupaient aucune terre, ils avaient réussi à transformer un désert en vergers et voulaient juste vivre en paix. Le Hamas en a décidé autrement.
PS. J’ai vécu ma première alerte à la bombe. C’est assez impressionnant. Les sirènes sonnent et le téléphone en même temps (app alerte). Peu après, on entend quelques fortes détonations qui semblent très proches : c’est le « dôme de fer » qui intercepte les roquettes. Nous étions en voiture entre des buildings, je n’ai rien vu.
Demain, la suite avec la visite du village supplicié de Kfar Aza
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