Il y a quelques années, le grand Umberto Eco publiait un piquant recueil d’articles intitulé À reculons comme une écrevisse, dénonçant un monde moderne allant cul par-dessus-tête… C’est à cette image que j’ai immédiatement songé en apprenant qu’une manif « à reculons » s’est tenue, ce samedi, dans les rues de Paris et de quelques villes provinciales à l’appel d’un collectif d’artistes. Dans le cadre de la 4e édition de « Rue Libre ! » – journée internationale (accrochez-vous bien…) des « arts de la rue et de la libre expression dans l’espace public » – les participants à ce défilé bouffon ont suivi un parcours revendicatif – à rebours – en brandissant des pancartes ironiques interdisant de chanter et de sourire.
Nullement rouges de honte, à l’image des crustacés décapodes d’Umberto Eco qui évoluent à reculons, nos petits révoltés en sucre d’orge (et sur monocycles) ont surtout regretté bruyamment la baisse des subventions publiques à leur endroit et la menace diffuse d’un nébuleux « recul des libertés ». Parlaient-ils de la liberté d’échapper, précisément, à l’omniprésence de ces « arts de rue », lorsque l’on descend simplement acheter son journal, ou promener son chien ? Que nenni ! L’artiste de rue est partout chez lui, même quand il est chez vous! Il entend prendre la rue d’autorité, avec le projet utopique de vous rendre – par une médiation culturelle parfois douteuse – ce qui vous appartenait quasiment déjà. Avez-vous déjà pu échapper à l’impérieuse démonstration d’un jongleur citoyen au détour d’une ruelle sombre ? Connaissez-vous l’expérience traumatisante de devoir subir une éco-déambulation d’échassiers sur le thème des OGM place de la Contrescarpe ?
A l’heure où la ferveur populaire et syndicale contre la réforme gouvernementale des retraites retombe doucement, victime des frimas automnaux et de cette éternelle tendance des syndicalistes à partir en vacances quand on leur demande, ce courageux mouvement des indispensables artistes de Rue s’imposait incontestablement à la France sarkozyste meurtrie… Pas de blague. Soutenons ce mouvement, chers Causeurs ! Ne laissons pas les artistes de rue devenir des artistes d’impasses ! Ils pourraient en venir à manifester dans le bon sens.
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