On peut dire que l’expérience a été sidérante. Au sens premier du terme. Mercredi dernier, les vénérables membres de l’Association des journalistes parlementaires, recevaient Marine Le Pen sous les ors du Palais Bourbon. Celle qui se voit déjà au second tour de la prochaine présidentielle et, à défaut, gagner aux législatives dans sa circonscription fétiche du Pas-de-Calais. La fille de, qui pour la première fois posait le pied à l’Assemblée nationale, est un sujet complexe à appréhender pour les journalistes.
Une salle aussi pleine que pour Hollande ou MAM
Oui, j’entends d’ici les critiques, évidemment ces ânes bâtés de journalistes ne voient rien, se copient entre eux, ne sortent pas de la pensée mainstream, comment imaginer autre chose que leur absence de point de vue critique, voire politique sur l’objet Marine le Pen. Bien, accordé. La preuve, certains confrères avaient cru bon de lancer une tentative de boycott de la dame, au nom des vertus républicaines, de la liberté en danger, et du devoir de mémoire réunis. Et bien, on peut dire que ça n’a guère marché : la salle était pleine, autant que quand François Hollande, ou MAM, deux bons clients, viennent causer entre gens civilisés. Mais Marine Le Pen (non non, je le crois pas, comme dirait le génial Philippe Katerine), c’est autre chose.
Et c’est d’ailleurs chose étonnante que de voir l’intelligence stratégique, et surtout politique, disons-le, de la dame, à supposer qu’on en doutât. Pour avoir attaqué ses cinq premières minutes de causerie avec la voix trop forte, le verbe trop frontiste, elle se fait rabrouer aussi sec par une des doyennes de la presse parlementaire. Et, au lieu de s’offusquer, voilà Marine le Pen qui trouve illico le bon ton, répond en rigolant, avance sereinement ses arguments, sort de la dialectique frontiste habituelle et son discours classique : immigration-invasion/politiques tous pourris/la France et les Français d’abord.
« L’autonomisation du vote frontiste »
Il faut dire qu’en ce moment, franchement, elle a juste à se baisser pour vendanger : les Woerth, les salaires et retraites des ministres, les cigares des secrétaires d’Etat, les logements de fonction, jusqu’à la grotesque suppression de la garden-party du 14 juillet. Ou encore l’euro, dont elle propose de sortir en bon ordre et en accord avec tous les Européens. En vrai, par moment dans l’assistance, on se regardait entre journalistes en se disant que bon dieu, ça allait vraiment être compliqué de s’en débarrasser de celle-là. Et franchement, je souhaite bon courage à Sarkozy s’il se représente (blague) pour réussir à nouveau une OPA sans douleur sur son électorat. À tel point que, quand Marine le Pen, brandit « l’autonomisation du vote frontiste », c’est à dire « jusqu’ici, nos électeurs étaient plutôt de droite, et quand il fallait, ils donnaient leurs voix à l’UMP au second tour. C’est fini tout ça, regardez le score du FN aux régionales », on n’a aucun mal à la croire.
Dans le fond, ce qui a saisi la salle, c’est une soudaine irruption de la réalité dans la politique. Pardon, mais c’est de plus en plus rare. A supposer que ça ait encore un sens. Après tout, si on regarde froidement, le Front National, aux dernières régionales, sans parler de l’élection présidentielle, représente quand même un bon paquet de Français. Qu’on peut par facilité diaboliser, traiter avec une bonne dose de mépris social ou, ce qui revient au même, décréter qu’ils ne votent FN que parce qu’ils sont orphelins des partis politiques tradis. Autant de trucs qui rassurent. Mais quand on voit et on entend Marine Le Pen, on comprend bien qu’il va falloir changer de grille de lecture, mettre à jour les logiciels et regarder le problème en face. À moins de vouloir refaire le coup de la patrie en danger comme en 2002. Cette réalité, d’électeurs qui choisissent le FN pour des tas de raisons sérieuses et pas que racistes-prolos-incultes et ce, partout autour de nous. Partout sauf là où nous autres, pauvres journalistes nous traînons en bande avec nos analyses minables en bandoulière. Comme à l’Assemblée nationale par exemple…
Le petit peuple des petits blancs
Evidemment, il y a toujours des gens pour reprocher à l’héritière le Pen d’être la fille de son père, l’antisémite, le raciste. Là-dessus aussi, elle a des réponses. Et a choisi d’incarner un espace politique vaste, de plus en plus vaste, puisque même la gauche le néglige : la nation et les Français d’en bas -retraités, chômeurs, ouvriers, petits fonctionnaires, bref tout le petit peuple des petits blancs. Les faits jouent pour elle, elle le sait. Et n’a pas besoin de gueuler pour exister.
On a finalement tous bu un coup avec elle ensuite, en causant de ses chats, de ses enfants, du congrès qui arrive et de l’été qui vient. Vingt minutes plus tard, elle était en train de fumer dans la galerie à l’extérieur de l’Assemblée, avec vue sur la place de la Concorde. Autour d’elle les gens étaient fascinés. Ce qui est quand même pour le moins inquiétant : ceux-là mêmes qui fréquentent le pouvoir (législatif) au plus près, en permanence, ne peuvent s’empêcher de hocher la tête à certains de ses arguments. Comme s’ils étaient le moins dupes de ce qu’ils ont sous les yeux tous les jours. Et finalement je me suis dit après ça, je serais Sarkozy d’un côté, Marine le Pen de l’autre, je ferais comme les Italiens et je trouverais un terrain d’entente, permettant à l’une de devenir l’aile droite et nationale de l’autre. La condition pour notre invitée du jour de sa prospérité politique future, sûrement. Mais aussi pour l’autre, le prix à payer pour sa survie au plus haut niveau du pouvoir.
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