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Un ministre doit-il être député ?


La question du statut des ministres était de celles auxquelles le général De Gaulle tenait le plus. A ses yeux, membres du gouvernement et parlementaires relevaient de logiques opposées, les premiers étant voués à l’intérêt général, les autres ayant à défendre des intérêts particuliers, ceux de leur parti, de leurs électeurs ou de leur circonscription. C’est pourquoi De Gaulle considérait comme essentielle la stricte séparation organique entre ministres et parlementaires qu’il avait fait inscrire dans la constitution de 1958, et qui mettait fin à la confusion des genres qui caractérisait les républiques précédentes.

Sur ce point, François Fillon n’hésita pourtant pas à rompre, dès le mois de mai 2007, avec l’esprit de la Vème république. A peine arrivé à Matignon, il déclare, d’abord, que tout ministre devra se présenter aux élections législatives, et ensuite, qu’il devra l’emporter sous peine de se voir chassé du gouvernement. Pourquoi cette exigence inédite ? Tout simplement, explique-t-il lors d’un déplacement électoral dans la Sarthe, parce que l’ « on ne peut pas avoir la responsabilité de conduire un ministère, et ne pas avoir la confiance des habitants de son territoire ». Voilà pourquoi les membres du gouvernement, devant avoir « la légitimité non seulement de la nomination, mais de l’élection », « doivent être des élus du peuple ». Et voilà aussi pourquoi il faut exclure du gouvernement ceux qui, n’ayant pas réussi à se faire élire, ne bénéficient point, par conséquent, de la légitimité nécessaire. « En démocratie, on choisit des hommes et des femmes, on les envoie siéger au parlement pour représenter le peuple, et parmi ceux qui siègent au parlement, on choisit des ministres ».

A l’époque, cette « jurisprudence Fillon » suscita, chez les observateurs attachés à la logique de la Ve république, quelques toussotements dubitatifs. Une telle déclaration se rattache en effet à une certaine vision du régime parlementaire, celle qui prévalait en France sous les IIIème et IVème républiques. En revanche, elle jette aux orties l’une des principales innovations de la constitution de 1958, dans laquelle, on l’a dit, le ministre est l’homme de l’Etat et pas celui de « son territoire », le serviteur de l’intérêt général et non le représentant de son parti au sein du gouvernement. La simple idée que l’on soit ministre en vertu de la légitimité démocratique conférée par l’élection, et non en vertu de la décision du Premier ministre ratifiée par le Président de la République, suffit à dynamiter la vision gaullienne de gouvernement. Du reste, le seul fait qu’il puisse y avoir des exceptions (comme ce fut cas en juin 2007, notamment pour Madame Dati) invalide le principe – dès lors que cela implique que certains ministres (ceux qui n’ont pas bénéficié d’une élection) pourraient être moins légitimes que les autres… Et ne parlons pas de ceux qui siègent au Sénat, ou ont été élus sur des circonscriptions gagnées d’avance, ou nommés en dehors des périodes électorales. Sous la IIIème et la IVème république, il n’y avait d’ailleurs pas d’exception à la règle, et il ne pouvait y en avoir. Dans le système Fillon, en revanche, tout était possible – sauf peut-être le respect du principe de non contradiction.

Voilà pourquoi son successeur était attendu au tournant, les observateurs précités ayant commencé par craindre qu’il ne se coule, en tant qu’ancien député et partisan affiché d’une tradition nettement parlementariste, dans la fameuse « jurisprudence » : certains ne le présentaient-ils pas comme un « Fillon de gauche » ? Et voilà pourquoi ils ont été soulagés après son intervention télévisée sur France 2, le 16 mai. Soulagés, et tout étonnés de constater que contrairement à ce qu’ils pensaient, le pire n’est pas toujours sûr.

Qu’a donc dit le nouveau premier ministre ? Qu’un membre du gouvernement qui choisirait de se présenter aux élections législatives, et qui serait battu, aurait par conséquent l’obligation de démissionner. « Il y a l’esprit de responsabilité, c’est-à-dire que tout ministre qui se présente aux élections législatives et qui ne sera pas élu ne pourra pas rester au gouvernement ». Ce qui, on en conviendra, n’est pas du tout la même chose, les ministres ayant en effet toute liberté pour se présenter ou non aux élections, sans qu’on puisse leur reprocher de ne pas y aller. Et sans qu’ils aient besoin pour cela de s’inventer des alibis invraisemblables, comme le fit pourtant Madame Vallaud-Belkacem, plissant de toutes ses forces son front virginal devant les caméras pour prendre un air grave, et expliquer que l’énorme masse de travail qui s’abattait sur elle en tant que ministre des droits de la femme, l’urgente préparation d’une loi sur le harcèlement sexuel, le « porte-parolat » (sic) du gouvernement, etc., etc., l’empêchait, hélas, trois fois hélas, de se présenter dans la terrible « Quatrième du Rhône », alors qu’elle aurait tant aimé en découdre. Il est vrai qu’il serait un peu râlant de ne rester ministre que quelques semaines. Madame Taubira n’aura pas de ces pudeurs de jeune fille, à raison, d’ailleurs. Elle connait la vie, et sait que ni Robert Badinter, son plus illustre prédécesseur, ni Françoise Giroud, celle de Madame Vallaud-Belkacem, ne se présentèrent aux élections pour obtenir leurs maroquins.

Et c’est ainsi que ceux dont on pouvait tout attendre, sauf cela, se montrent, volontairement ou non, plus fidèles à l’esprit de la Ve république que ceux qui, il y a cinq ans, s’empressèrent de brûler ce qu’ils avaient promis de défendre.



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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