On retiendra du dimanche 18 mars 2012 que, pour la première fois, un parc à thème français, Le Puy du Fou, a reçu le prestigieux Thea Award, qui distingue chaque année le meilleur établissement de ce genre dans le monde. Tel Jean Dujardin, Philippe de Villiers, le fondateur de ce haut lieu de la mémoire chouanne est allé chercher lui même à Los Angeles ce trophée qui le consolera quelque peu de ses déboires politiques et familiaux. On retiendra également qu’une reconstitution improvisée des grandes heures révolutionnaires françaises, à l’initiative du Front de Gauche, a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes sur la place de la Bastille à Paris. On se souviendra enfin que Beate Klarsfeld, épouse de Serge et maman d’Arno, a obtenu 126 voix lors de l’élection à la présidence de la République fédérale d’Allemagne, remportée haut la main par Joachim Gauck, un pasteur originaire de l’ex-RDA[1. La présidence de la RFA est une fonction essentiellement protocolaire et honorifique généralement confiée à un homme politique blanchi sous le harnois, et jouissant de l’estime générale, au delà de son parti. Il est élu par le Bundestag et des délégués envoyés par les parlements régionaux. L’élection présidentielle du 18 mars avait été organisée à la suite de la démission de Christian Wulff, un chrétien-démocrate mis en cause dans des affaires de corruption.].
La hiérarchie de ces événements, dans la presse française du lendemain, était nettement à l’avantage de la manifestation de la Bastille, ce qui se comprend aisément, mais ne lui garantit aucunement de conserver cette position dans les siècles des siècles…
J’aurais, pour ma part, tendance à privilégier la distinction accordée par les magnats américains de l’entertainment au modeste parc du Puy du Fou, qui n’est que le quatrième parc à thème français en termes de fréquentation, avec 1,5 millions de visiteurs annuels, alors que Disneyland Paris en reçoit 17,5 millions. A la différence du Futuroscope de Poitiers, Le Puy du Fou ne mise pas sur le high-tech, la 3D et les robots sophistiqués pour épater le populaire : ce sont gladiateurs, Vikings et mousquetaires, la plupart du temps interprétés par des bénévoles du cru qui font le spectacle, celui du roman national version ancien régime, sabots, terroir et légendes merveilleuses inclus. En couronnant les Vendéens, les géants américains du secteur reconnaissent qu’il existe des choses qui ni l’argent, ni la technologie ne peuvent créer : l’authenticité d’un lien à l’histoire et au terroir, par exemple.
Quelques heures plus tard, en regardant le Mélenchon-show de la Bastille devant mon téléviseur, il me vint à l’idée que l’on n’était pas si loin de la Vendée, et que le spectacle offert par le Front de Gauche au peuple français était le pendant républicain et révolutionnaire de la geste catho-tradi du Puy du Fou. Le discours de Mélenchon aurait parfaitement pu constituer la voix off d’une grande reconstitution en costumes des heures de gloire du peuple français insurgé contre les tyrans de 1789 jusqu’au Front populaire, en passant par 1848 et la mobilisation antifasciste de février 1934… Il s’agissait, pour les organisateurs, de donner une identité collective à une foule disparate, de faire, comme dirait Marx, de cette foule « en soi » une foule « pour soi ». Le pari n’est, à mes yeux, qu’à moitié réussi, car il planait comme un malentendu sur cette opération. Les gens étaient venus voir Mélenchon, la nouvelle star de la scène politique, et s’attendaient au numéro maintenant bien rodé du tribun gouailleur, fustigeant les capitalistes, leurs valets et leurs coryphées ( les « belles personnes »), et n’épargnant pas le voisin de palier quelque peu timoré. Le PCF, deus ex machina de la mobilisation des militants rameutés de tout l’hexagone en avait décidé autrement : c’est le peuple qui allait faire le spectacle, et non pas le candidat dont le charisme commence à devenir quelque peu encombrant pour les apparatchiks de la place du Colonel-Fabien. Le style « Entre là, Jean Moulin… » n’est pas ce que Méluche réussit le mieux, et l’enthousiasme modéré de la foule agitant les oriflammes écarlates était loin d’égaler l’intensité des affects provoqués par les discours de Mélenchon en meeting. Je serais à la place de Claude Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis, je réfléchirais sérieusement à créer un parc à thème sur l’histoire de cette France des révoltes et des révolutions. Cela donnerait de l’emploi dans ce 9-3 qui en manque cruellement, et pourrait permettre à « l’autre » roman national de se voir porté au pinacle en Californie lors d’un prochain palmarès du Thea.
Beate Klarsfeld est aujourd’hui moins connue du grand public que son mari et son fils. Ce ne fut pas toujours le cas. Cette fille de SS venue en France comme jeune fille au pair à 19 ans, en 1960, consacra sa vie à expier et faire expier à ses concitoyens les turpitudes du régime nazi. Elle connu la célébrité en giflant publiquement, le 7 novembre 1968, le chancelier Kurt Georg Kiesinger, qui avait exercé des fonctions de responsabilité dans l’appareil de propagande nazie en direction de l’étranger. C’est à elle que Serge Klarsfeld doit son aura de « chasseur de nazis », car sa méconnaissance de l’allemand ne le mettait pas en position de traquer les criminels de guerre reconvertis en notables de la RFA. Jusqu’en 1989, les fiches des Klarsfeld étaient alimentées par les services secrets de la RDA, qui utilisaient le couple comme un auxiliaire dans sa propagande contre une République fédérale coupable, à ses yeux, de recycler les anciens nazis dans les hautes sphères de la politique et de l’administration. Cela explique pourquoi les amis allemands de Jean-Luc Mélenchon, le parti Die Linke, majoritairement composé des héritiers idéologiques des communistes de l’ex-RDA aient accordé leur investiture pour l’élection présidentielle ouest-allemande à une femme vivant à Paris dont la famille est proche de Nicolas Sarkozy, et qui professe des idées sionistes très éloignées des prises de positions anti-israéliennes de Die Linke. Opposer Beate Klarsfeld à Joachim Gauck, qui dirigea pendant dix ans, de 1990 à 2000 l’autorité chargée de gérer les archives de la Stasi, la redoutable police politique est-allemande, était pour Die Linke, un plaisir rare dont il aurait été dommage de se priver.
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