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Un JT comme les autres


Un JT comme les autres

TF1 Claire Chazal

J’étais plongée dans la démocratie tocquevillienne de l’Amérique du 19ème siècle lorsque j’entendis sonner 20h, tiens c’est l’heure du journal. J’allume la télévision. Allez, TF1 ce soir.
Mon fils adolescent passe devant moi et dit :
« Mais pourquoi tu regardes encore les infos si ça t’énerve, ça sert à rien »
– Si ça sert, ça sert à se tenir au courant…bon, ça sert surtout à prendre la température, tu vois, ce qui est intéressant ce ne sont pas les nouvelles, on peut les lire dans les journaux ou sur internet, non, ce qui est intéressant, c’est LA façon qu’on a de nous présenter les nouvelles.
– Mais ça sert à rien
– Ça sert à garder l’esprit critique
– Pour quoi faire, tu vas pas changer le monde;
– Tu NE vas pas. Non mais garder les yeux ouverts c’est déjà ça. C’est un peu comme rester debout… »
Il me regarde d’un air accablé, qu’est-ce qu’elle raconte encore, sa mère avec ses bouquins et ses grands discours qui ne connaît rien à la « vraie vie ». Il renonce cependant, sort de la pièce, retourne à sa console.
Quinze ans sur les bancs de l’éducation nationale et sa plus tendre enfance avec une mère qui a cru malin de lire Dolto, il a des excuses.

Bon TF1 donc. Ça commence fort : Claire Chazal annonce d’un air grave que dans un quartier « sensible » de Grenoble deux jeunes se sont fait tuer à coups de couteau… par un groupe d’une quinzaine de personnes. Il s’agit de quoi ?? Du lynchage de deux criminels ? ah non. Ils sortaient seulement de l’école mais ont eu « un mauvais regard » avec d’autres jeunes. Appel au calme, marche silencieuse prévue. Pas de panique, les policiers ont demandé aux 15 criminels (pardon : jeunes en difficulté) de se rendre. On est tout à fait tranquilles ensuite lorsqu’on nous montre en exemple les collèges des « quartiers » à Nice, qui font dorénavant appel à des médiateurs à la sortie des cours pour éviter que les élèves ne s’entretuent. Depuis qu’ils désamorcent les conflits au portail de l’école, il y a moins d’agressions et les professeurs se disent soulagés. Violence à l’école ? non nous rassure-t-on, juste des enfants qui ont grand besoin de dialogue. Et les médiateurs sont là pour ça. Ouf.

La suite. Les ouvriers de PSA manifestent. On ne dit plus ouvrier fait remarquer le journaliste, on dit : opérateur. C’est vrai « ouvrier » ça fait lutte des classes, tout ça, alors qu’opérateur c’est plus technique et puis ça rime avec ingénieur, c’est mieux. Les opérateurs sont un peu inquiets car ils ont peur de perdre leur emploi, l’usine d’Aulnay est passée en soixante ans de 20.000 salariés à 3.500. Mais ils ont l’amour de leur travail et gardent l’espoir nous dit-on. Je garde donc ma compassion pour le prochain sujet.

Et le voilà le sujet justement, magnifique exemple de générosité. Un père de famille avec ses trois enfants dans un mobil-home.
Pris de compassion, tout le village se mobilise pour leur construire, leur offrir une maison toute neuve. Je commençais à sortir mon mouchoir sentant les larmes me venir à la vue du pauvre homme devenu débiteur à vie de tout un village, balbutiant des remerciements embarrassés sous l’œil gourmand des caméras…mais ça n’est pas pour ça qu’il fallait pleurer, hors sujet une fois de plus, c’est l’acte de donner qui est émouvant, pas cet homme qui reçoit publiquement ce qu’il n’avait pas demandé.

Je passe sur la hausse prévue de la taxation des auto-entrepreneurs qui gagnent moins que le Smic et ne demandent rien à personne, mais il faut bien que notre président trouve des sous pour combler le déficit ou renflouer les banques et puis les auto-entrepreneurs sont des patrons, non ? La gauche devait faire payer les patrons, elle vient de les trouver.
La crise, c’est dur. Ben non, nous dit Claire Chazal. Ça donne de l’imagination aux français. La ménagère fait ses courses à coup de bons de réduction car ce qu’elle économise lui permet de s’acheter un sandwich le midi, elle est pas belle la vie ? Mieux. La crise nous rend « éco-citoyens » : telle famille passe son temps à surveiller tout ce qui pourrait consommer de l’électricité, telle autre offre à ses enfants des jouets recyclés.
Ce fut un beau journal. Les nouvelles passent bien avec Claire Chazal, elle sait nous montrer le bon côté des choses, celui qui échappe aux gens comme moi, affligés de pessimisme.

Le journal était sponsorisé par Leroy Merlin :
Magnifique demeure au Maroc, cours intérieures, pièces chargées de meubles précieux, jardin planté d’essences rares, piscine immense en harmonie avec la nature (dont le propriétaire nous dit avec fierté qu’elle est fabriquée de façon responsable) un vrai paradis terrestre.
Je commençais à regarder d’un air maussade mon trois pièces tristounet meublé Ikéa, lorsque j’entendis le slogan : « Vos envies prennent vie du côté de chez vous »
Que demande le peuple ?



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