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« Un Homme et une femme », 53 ans après

Une sorte de suite en forme de fin bien difficile à bouder...


« Un Homme et une femme », 53 ans après
Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée à nouveau réunis dans "Les Plus belles années d'une vie" de Claude Lelouch (2019). ©Metropolitan filmexport

Claude Lelouch traverse les âges. 53 ans après Un Homme et une femme, le réalisateur réunit Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée dans Les Plus Belles Années d’une vie. Une sorte de suite en forme de fin bien difficile à bouder…


Le dernier Lelouch est énervant et saisissant, magistral et inconstant à l’image de son réalisateur. Les Plus Belles Années d’une vie sort aujourd’hui en salles, 53 ans après Un Homme et une femme, avec les mêmes acteurs qu’à l’époque.

Un film au propos sombre, parfois trop éclairé par la lumière de la Normandie. La pluie lui va mieux au teint. Un film plein de paradoxes, agaçant par certaines facilités du montage et fabuleux d’une émotion contenue quand la caméra s’attarde sur les visages de Jean-Louis Trintignant et de Anouk Aimée.

On y retrouve le côté farce dans un collage d’images du passé et du présent, cette manie de brouiller l’horizon, et puis les thèmes habituels qui animent Lelouch depuis ses débuts. La mort rôde. L’amour éphémère et destructeur s’en mêle. Les souvenirs sont une vieille pelisse dans laquelle les âmes solitaires se replient. Les belles femmes sont le pivot de l’existence, les hommes en perdent jusqu’à l’équilibre mental. Les remords tiennent chaud certains soirs d’angoisse. La vie n’est rien d’autre qu’un sprint raté. Le drapeau à damiers est si vite tombé. Dans un Lelouch, il y a toujours un trop-plein de sentiments et de clins d’œil nostalgiques.

Lelouch, réalisateur de rêves

Nous ne le blâmerons pas car nous sommes en famille. Le mal-aimé de la Nouvelle Vague ne nous laisse jamais indifférent. On aime ses bides et ses succès, ses aigreurs et son talent si singulier. Au fil des années, depuis cette Palme d’Or 1966 à Cannes, nous puisons des raisons d’aimer dans son bric-à-brac mémoriel. À force d’empiler des morceaux de fiction, il a façonné notre propre réalité. Grâce à lui et à Jean-Louis, nous avons appris la science du silence dans les relations amoureuses et l’art des accélérations foudroyantes sur l’avenue de l’Opéra.

Les fanfaronnades et les pudeurs, elles marchent toujours ensemble, elles tracent notre itinéraire chaotique. Lelouch fut le premier à nous dire la vérité que les actrices étaient des tentatrices fragiles, de succubes romantiques, qu’elles étaient indispensables à notre survie. Et que l’écran, miroir grossissant de nos errances, serait notre dernier refuge. Le plus sûr moyen de mettre à distance les emmerdeurs et les tracas du quotidien. On ne pourra jamais reprocher à Lelouch d’avoir donné corps à nos rêves. De braver la routine, de la tordre pour nous inventer un autre destin.

Le futur a bien changé

Son dernier film a peur de la retraite anticipée, de la fin des espérances quand la maladie empoisonne le présent et efface tous les lendemains possibles. Dans une luxueuse maison de repos, Jean-Louis, l’ex-pilote, perd la tête. Il ne se souvient plus de son petit-déjeuner mais se rappelle parfaitement de sa première nuit avec Anne, à Deauville, au Normandy, dans cette chambre tendue de toile de Jouy, la numéro 26, c’était il y a pourtant si longtemps.

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Lelouch veut, une dernière fois, pour témoigner et retenir un peu cet éclat d’antan, télescoper les époques. Avec lui, la romance n’affiche jamais le mot « FIN ». La petite Souad Amidou avec son anorak, a bien grandi, elle est vétérinaire dans un haras. Et le petit polyglotte Antoine Sire qui voulait être pompier, roule désormais dans une Alpine Berlinette A110 bleu pétrole. Il ne commande plus du Coca-Cola en plusieurs langues à un serveur, il parle du néoréalisme italien.

Montmartre 15-40 répond encore 

Un Lelouch, c’est tout ça, un cinéma foutraque à fleur de peau, tantôt bavard, tantôt mutique, à jamais inclassable. Un Lelouch, c’est surtout un plaidoyer pour les acteurs. Il les filme à la folie. Il ne pratique pas les plans à la sauvette et les dialogues hachés. Il creuse leurs traits et leurs mots. Il réussit à capter chez Jean-Louis et Anouk, une infinie variété d’expressions.

Dans le sourire fatigué de Jean-Louis, la misère du monde joue une partie serrée avec une joie enfantine. On est porté par la voix féerique de Anouk, cette façon qu’elle a de mettre la main dans ses cheveux ridiculise toutes les aguicheuses du septième art. La beauté n’a pas d’âge. La classe naturelle est un don de Dieu, forcément injuste et rare.

Monica Bellucci et Marianne Denicourt complètent très joliment ce casting hors des modes. Dans ce long-métrage, défilent nos plus belles années et une part de notre identité. Lelouch érige une stèle à la 2CV, à la Butte, à Pierre Barouh, à la Mustang, aux planches, au hasard et à l’amour.

Les Plus Belles Années d’une vie de Claude Lelouch – depuis le 22 mai 2019 au cinéma

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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