Accueil Société «Un homme, c’est un homme, mais un bel homme c’est autre chose»*

«Un homme, c’est un homme, mais un bel homme c’est autre chose»*

* Louise de Vilmorin, "Migraine", Gallimard, 1959.


«Un homme, c’est un homme, mais un bel homme c’est autre chose»*
Isabelle Adjani dans la pièce de théâtre "Ondine", de Jean Giraudoux, Comédie Française, 1972 © LIDO/SIPA

Le radeau des médusés


Jeudi 8 juin, un individu venu de Suède, Syrien d’origine, sans doute facilement irritable, frappe d’une lame acérée quatre enfants en bas âge et deux retraités, sur une rive du lac d’Annecy. Ce lieu de villégiature paraissait pourtant éloigné de la tragédie contemporaine, épargné à tout jamais par les délits et les crimes quotidiens dont s’effraie et auxquels se résigne le pays des Lumières vacillantes et en voie d’extinction…

Depuis, M. Schneidermann a versé sa petite liqueur fielleuse dans Libération (autrefois journal de garnements effrontés, de vieux adolescents migraineux, tout en plumes souvent talentueuses et urticantes : on y cherchera en vain de telles personnalités aujourd’hui). Dans sa chronique du 9 juin, sous le titre « Henri d’Arc », l’illustre pourfendeur du neofascisme dénonçait l’influence délétère de CNews, refuge bolloréen des « cathos-tradi » (sic) qui concluent, n’en doutons pas, leurs prières par un très approprié « nazi-soit-il » (1). M. Schneidermann n’est certes pas menacé de périr par noyade dans un bénitier, mais nous lui déconseillons d’approcher d’un peu près le bûcher des vaniteux : il ferait un excellent combustible (2).
Nous publions ci-après, sans lui en demander l’autorisation mais en forme d’hommage à son talent de polémiste, la conclusion de la réponse que lui adressa Jean-Paul Pelras sur le site L’agri, le 11 juin :
« Que ferions-nous, monsieur Schneidermann, sans les prédicateurs de votre acabit ? Ceux qui s’interposent entre le courage et la théologie avec une appréciation à géométrie variable dès qu’il s’agit d’influencer les esprits. Et qu’auriez-vous fait, oui, en définitive, qu’auriez-vous fait à la place d’Henri ? C’est peut-être autour de cette question que vous devriez disserter dans les colonnes de Libé. Avant de vous vautrer dans les eaux basses d’une chronique qui brocarde un héros, de surcroît, sacrilège suprême, affublé sur sa manche d’un petit drapeau français, pour désigner, en abusant des « voix » détournées, ce et ceux que vous détestez.»

D’Ondine à Sandrine

Sœurs « qui après nous vivrez », dont l’espoir est sans limite et le chagrin inépuisable, entendez la réponse d’Ondine aux hommes. Songez d’abord aux manifestations embarrassées de leur désir et entendez librement la fantaisie amoureuse qu’il suscite ; inspirez, corrigez aussi les vaines et merveilleuses figures de géométrie dans les spasmes, que cette même fantaisie leur inspire. Oubliez un instant la face blême des peloteurs contrefaits, des frôleurs du métropolitain, et l’ombre épouvantable des assassins qui sortent un couteau de leur braguette. Tant il est avéré que les brutes, les psychopathes et, récemment, les « chrétiens d’Orient » forment une légion dangereuse, qui se répand sur le territoire national.
À titre personnel, je voudrais qu’Ondine, la belle et audacieuse nixe, par ses seules paroles tendres, couvrît de honte Sandrine Rousseau, qui prétend porter la parole des femmes, qu’elle n’imagine que meurtries, salies, souillées, et qu’elle espère rassembler sous sa triste bannière en soufflant dans une vuvuzela de réjouissances foraines. Inlassable donneuse de leçons, notre sans domicile fixe des dernières élections législatives (3) croit trouver dans les crimes réels, avérés, nombreux, autant d’occasions d’ouvrir sur la place publique un parapluie de camelot vite rempli de sa logorrhée moralisatrice, qui trahit surtout un déplaisant carriérisme.

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Les femmes de l’écologie se suivent et se ressemblent. Ce que disait Françoise Hardy de l’ineffable Cécile Duflot, irait fort bien sous le portrait en pied de Sandrine Rousseau :
« Ses combats pour l’environnement ont beau être d’une importance incontestable, comment ne pas être choqué par l’arrogance et le sectarisme de cette petite bonne femme, persuadée de détenir la vérité au point de ne pas vouloir entendre ceux qui ne pensent pas tout à fait comme elle ou qui contredisent ses assertions en leur opposant des faits et des chiffres incontournables? Comment ne pas être irrité par sa logorrhée débitée sur un rythme de plus en plus précipité au point qu’on finit par avoir envie sinon de l’étrangler, du moins de la bâillonner pour qu’elle se taise enfin et nous laisse souffler? Elle ne parle pas: elle glapit.» (4)

« Je savais bien qu’il devait y avoir une raison pour être fille. La raison est que les hommes sont aussi beaux…» Ondine, Jean Giraudoux (5)

Alors, Ondine ?
C’est une très jeune fille, qui vit dans une cabane de pêcheur avec ses parents adoptifs. Son origine est mystérieuse, il faut la chercher du côté de l’eau, dans le lac même sur les bords duquel elle fut trouvée (6)
Un chevalier se présente, un jour, il demande un abri, il a faim :
[Le Chevalier, Auguste (le père), Eugénie (la mère), Ondine]
Ondine, de la porte où elle est restée immobile. – Comme vous êtes beau !
Auguste. – Que dis-tu, petite effrontée ?
Ondine. – Je dis : comme il est beau !
Auguste. – C’est notre fille, Seigneur. Elle n’a pas d’usage.
Ondine. – Je dis que je suis bien heureuse de savoir que les hommes sont aussi beaux… Mon cœur n’en bat plus !…
Auguste. – Vas-tu te taire !
Ondine. – J’en frissonne !
Auguste. – Elle a quinze ans, Chevalier. Excusez-la…
Ondine. – Je savais bien qu’il devait y avoir une raison pour être fille. La raison est que les hommes sont aussi beaux…
Auguste. – Tu ennuies notre hôte…
Ondine. – Je ne l’ennuie pas du tout… Je lui plais… Vois comme il me regarde… Comment t’appelles-tu ?
Auguste. – On ne tutoie pas un seigneur, pauvre enfant !
Ondine, qui s’est approchée. – Qu’il est beau ! Regarde cette oreille, père, c’est un coquillage ! Tu penses que je vais lui dire vous, à cette oreille ?… À qui appartiens-tu petite oreille ?… Comment s’appelle-t-il ?
Le Chevalier. – Il s’appelle Hans…
Ondine. – J’aurais dû m’en douter. Quand on est heureux et qu’on ouvre la bouche, on dit Hans…
Le Chevalier. – Hans von Wittenstein…
Ondine. – Quand il y a de la rosée, le matin, et qu’on est oppressée, et qu’une buée sort de vous, malgré soi on dit Hans…
Le Chevalier. – Von Wittenstein zu Wittenstein…
Ondine. – Quel joli nom ! Que c’est joli, l’écho dans un nom !… Pourquoi es-tu ici ?… Pour me prendre ?…
Auguste. – C’en est assez… Va dans ta chambre…
Ondine. – Prends-moi !… Emporte-moi !
Jean Giraudoux, Ondine, acte I, scène 3 (extrait)

Du savon et de son bon usage…

Ondine n’appartient pas à notre monde : elle est une nixe, une fille des eaux, une créature du lac. Cependant, sous l’effet d’un coup de foudre sensuel, elle prend le risque de rompre avec son ordre « naturel ». Ce qu’elle croit saisir des hommes dans la personne du chevalier fonde un amour absolu, éternel. Elle l’a trouvé si attirant, qu’elle en a conclu qu’il lui était destiné.
Ondine est vouée au malheur, bien sûr, mais elle aura connu le sentiment mystérieux, que les humains, ces êtres attachants et décevants, nomment l’amour.
J’ai vu Ondine à la Comédie française, dans la mise en scène de Raymond Rouleau, en 1974. Jean-Luc Bouté y était le chevalier. Ce magnifique comédien, disparu prématurément, a laissé un souvenir ineffaçable à ceux qui l’ont connu. Il paraissait sur la scène, mobile, puissant, le regard d’un singulier éclat, et l’on était envoûté par sa silhouette dure et ses traits de florentin renaissant croqué par Léonard de Vinci. Isabelle Adjani incarnait Ondine, c’est-à-dire qu’elle rendait sensible à la fois son essence extra-humaine et le consentement heureux à sa nouvelle, terrible et adorable condition. Elle n’avait pas vingt ans, en paraissait quinze à peine. Elle aussi venait d’ailleurs, comme suscitée par une source magique.
Un esprit malicieux verrait peut-être dans Ondine une manière de transgenre : elle s’affranchit de tous les interdits génétiques et culturels qui la faisaient appartenir à l’ordre lacustre. Mais sa métamorphose n’est pas le fruit d’une protestation, d’un malaise, elle ne s’accomplit pas dans la revendication, elle ne fonde pas une fierté nouvelle : elle produit une évidence et une fatalité.
Madame Rousseau et ses amis triompheront-ils un jour ? La Nupes de Jean-Luc Mélenchon, un Louis de Funès toujours furieux sans le charme, un trotskiste d’arrondissement, nous imposera-t-elle son organisation de petits commissaires du peu et du peuple pour bloc d’immeubles et communauté de communes ? Connaîtrons-nous cet Enfer vert qu’ils portent tous dans leurs bagages et dans lequel il « brûlent » de nous jeter (toujours Jeanne d’Arc !) ?

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Pour le temps qui reste, c’est encore Giraudoux, que nous consulterons :  
 […] Hector – « Et il y en aura d’autres après lui, n’est-ce pas, pourvu qu’ils se découpent sur l’horizon, sur le mur ou sur le drap ? C’est bien ce que je supposais. Vous n’aimez pas Pâris, Hélène. Vous aimez les hommes ! ».
Hélène – « Je ne les déteste pas. C’est agréable de les frotter contre soi comme de grands savons. On en est toute pure… » (La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Acte I, scène 8).
Il nous reste encore les sources, les ombres errantes et bienveillantes, les villes énormes, les êtres qu’on frôle et qu’on étreint. 


Notes

1) Depuis plusieurs mois, la gauche « lin et coton recyclé » (L’Obs en tête) se répand en dénonciations d’un prétendu péril, la chaîne CNews. Elle serait non seulement le repaire de la Réaction, mais encore diffuserait des idées aussi dangereuses que celles qui figuraient dans le catalogue de frustrations et d’anathèmes, paru en 1935 sous la signature d’un obscur caporal autrichien (qu’on prétendit longtemps monorchide) souvent vêtu d’une Lederhose (culotte de peau) bavaroise à pont, tendance Oktoberfest, peu seyant sur les cuisses maigres et les genoux cagneux. On s’étonnera simplement que l’immense armée des bien-pensants craigne à ce point une entreprise privée relativement modeste si on la compare aux moyens et aux relais dont disposent ces innombrables soldats des idées correctes garanties sans trace de « droitisme » (voir note 3).

2) Considérant le prénom de M. Schneidermann, je me suis refusé à écrire dans le corps de l’article, reprenant ainsi son procédé d’ironie, Daniel D’Arc. Cette espèce de paronomase m’évoque immédiatement un chanteur que j’aimais beaucoup et ne veut pas mêler à ce détournement.

3) On verra le documentaire que Tristan Waldeck, pour l’émission « Complément d’enquête » (France 2, 13 avril)  a consacré à Sandrine Rousseau. Je ne croyais pas possible qu’une chaîne de la télévision d’État mît en évidence les contradictions, les omissions, les inventions d’une femme politique de la mouvance verte extrême. Ce traitement est réservé ordinairement à la droite, me semble-t-il. On s’amusera, ou l’on se désolera des arguties que développe Sandrine R. lorsque le journaliste l’interroge sur l’appartement qu’elle prétendait habiter dans le XIIIe arrondissement, grâce à une attestation de domicile très complaisante… En a-t-elle seulement franchi le seuil ? « Je misais sur ce logement ». Bref, alors qu’elle présentait sa candidature à la députation dans ce quartier parisien, en 2022, il apparaît qu’elle n’y avait pas de domicile légal ; or, aux yeux de la loi, cela constitue un délit. Les Verts et leurs alliés nous promettent et nous préparent un avenir de contraintes, de remords et de punitions. En attendant, ils nous administrent quotidiennement des leçons de maintien démocratique.

4) Françoise Hardy, Avis non autorisés, éditions Des Équateurs.

5) Il y aurait bien des choses, et des plus désagréables, à dire sur l’homme Giraudoux. Ce n’est pas le lieu, ici, pour son procès. J’accepte d’aggraver mon cas en affirmant que j’aime ses pièces de théâtre et que je déplore qu’on ne les monte plus.

6) Sur un thème proche, on entendra le merveilleux « Chant à la lune », de préférence par Renée Fleming, extrait de Rusalka, opéra du compositeur Anton Dvorak (1841-1904).
Rusalka est une divinité des eaux, amoureuse éperdue du jeune prince qui se baigne fréquemment dans le lac où elle séjourne. La nymphe sollicite une sorcière d’un service : lui donner la forme (et les formes) d’une femme incarnée. Elle sera exaucée, mais au prix d’une sévère infirmité (elle devient muette), et d’une terrible menace : la damnation si le prince ne l’aime pas en retour.
Il la voit, il s’en éprend, puis il s’en lasse. Il s’éloigne, mais, la retrouve, veut la reconquérir. Elle le met en garde : s’il lui donne un baiser, il mourra dans l’instant.
Il l’embrasse, et meurt. Rusalka sombre dans les eaux noires.

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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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