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Un gêneur nommé Guaino


Un gêneur nommé Guaino

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Féru d’histoire, Henri Guaino doit penser, ces jours-ci, que l’Elysée ressemble à la Florence des Médicis : chausse-trapes à tous les étages, cabales et complots en tout genre, bruissement des dagues, fioles de poison à toute heure. Bref quelqu’un veut sa tête. Ou quelques-uns. Et l’un de ses ennemis s’est chargé de le faire savoir au Figaro qui a généreusement consacré vendredi dernier une page à une réunion où semble-t-il, les assiettes ont volé après que le conseiller spécial avait violemment dénoncé – mais en interne – la brillante idée de Luc Chatel de rendre l’histoire-géo optionnelle pour les terminale S.

Manquement à la solidarité, éructent ses collègues qui l’accusent de déstabiliser le président. D’autres – nous, par exemple – pourraient trouver salutaire que le conseiller spécial préfère la compagnie d’Alain Finkielkraut et de Max Gallo à celle de la FCPE, du Sgen CFDT et autres pédagogistes fossoyeurs de la transmission. En plein débat sur l’identité nationale, ne pas transiger sur l’enseignement de l’histoire auprès des futures élites relève d’un certain souci de cohérence prisé même par l’électorat de droite.

Certes, ce n’est pas très neuf. Cet électron libre même pas passé par l’ENA s’est taillé une place à part dans la géographie du sarkozysme. Le président tolère beaucoup de son conseiller spécial et on imagine aisément que ce statut de chouchou, s’agissant d’une tête brûlée, agace ses petits camarades. Il est vrai que Guaino, qui a aussi la tête bien faite, a sa propre conception du devoir et de l’histoire et s’est payé le luxe d’avoir raison contre Mme Lagarde quand celle-ci jurait que la crise n’était pas systémique et qu’elle épargnerait l’Union européenne. Le fait d’être un esprit libre et d’avoir raison contre les importants fait sans doute de lui l’importun par excellence.

En fait, les conciliabules conspiratifs ne sont que les aléas normaux de la vie de bureau qui, même dans une monarchie républicaine, a souvent quelque chose d’une école maternelle.

D’abord, il y a le style. Guaino est une grande gueule, il aime parler aux médias et les médias aiment le faire parler – tout en lui consacrant volontiers des papiers fielleux comme viennent de le faire, à trois jours d’intervalle, Le Figaro et Le Monde. Dans pas mal de rédactions, il semble être le seul sarkozyste vaguement fréquentable, peut-être parce qu’il apparaît comme le moins sarkozyste de tous. Phénomène inédit que cette « plume qui parle », ce qui crée parfois un étrange effet larsen. On ne sait plus s’il faut parler des discours de Guaino ou de ceux du président – ce qui, pour certains, les rend doublement détestables.

Non seulement il la ramène, mais il joue sa partition solo. La petite musique républicaine, néo-gaulliste, étatiste, on appelle ça comme on veut, les références à la grande Histoire, tout cela ne doit pas toujours être très tendance à l’Elysée, où certains doivent s’irriter de ce magistère du verbe pendant qu’eux ont, pensent-ils, les mains dans le cambouis.

Au demeurant, si certains estiment qu’il a trop d’influence, d’autres, sensibles à son verbe flamboyant, lui reprochent de n’en avoir pas assez et d’être l’alibi républicain d’un Nicolas Sarkozy qui ne le serait point. En somme, il serait délégué à l’habillage, préposé à l’imaginaire. C’est oublier que le verbe est un élément central de la politique française, raison pour laquelle il fascine ou révulse. Quand le président emploie le mot « assimilation », jusque-là proscrit par peur du lobby multi-culturaliste, sa parole n’est-elle pas en soi une action ?

Si Guaino n’était qu’un faiseur de chansonnettes, un bibelot républicain, posée sur la présidentielle cheminée, ou un petit singe grincheux qui s’écrierait entre deux raclements de gorge « Vive de Gaulle ! », « Vive le programme du CNR ! », il faut réguler le capitalisme, il n’irriterait pas tant.

Derrière ces secrets d’alcôve complaisamment diffusés, se livre une véritable bataille politique dont l’issue dépend de la réponse à une question. Que veut le président ? La rupture, les indicateurs de performance, la politique de l’offre, la cure d’amincissement de l’Etat, bref la greffe du modèle anglo-saxon ou plutôt un volontarisme étatique, un bonapartisme revisité ouvert aux hommes d’affaires mais méfiant à l’égard des chimères du marché autorégulé ? Le multiculturalisme échevelé ou l’assimilation républicaine ?

Le Sarkozy de la crise a renoué avec une filiation républicaine et bonapartiste. Mais le Sarko d’avant, le chantre de la rupture, des baisses d’impôts et du bouclier fiscal, celui que semblent préférer la plupart de ses conseillers, n’a pas forcément dit son dernier mot.

À l’Elysée, certains semblent confondre accalmie et sortie de crise et n’ont rien de plus pressé que de revenir au statu quo ante. La clarification viendra en son temps. Mais avant que le réel ne se rappelle à tous, il faut espérer que Guaino gagnera la partie contre les professionnels de l’amnésie, appelés aussi les visiteurs du soir.



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Elisabeth Lévy est rédactrice en chef de Causeur. Maurice Austin est fonctionnaire territorial.

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