Le 26e ouvrage de Jean-François Fournier suit les pérégrinations d’une chienne auprès d’artistes européens sortant du lot.
Une chose est sûre : le nouveau roman de Jean-François Fournier, écrivain et journaliste suisse, Un Galgo ne vaut pas une cartouche, ne plaira pas aux idéologues du wokisme. L’auteur nous entraîne dans une épopée bigarrée à travers les grandes villes d’Europe. Le fil rouge, ou plutôt la laisse, est un Galgo espagnol qui a échappé de peu à une lente agonie. Il s’agit plus précisément d’une femelle lévrier blanche, appelée Canela à cause de la pointe cannelle de ses oreilles. L’héroïne du roman, c’est elle.
Art et morale
Sa destinée est unique. Elle passe d’un maitre à l’autre, et ces changements nous permettent de découvrir, à travers dix récits distincts, dont la construction narrative est bluffante, des artistes hors norme qui nous rappellent que l’art doit ignorer la morale. On voyage, c’est rythmé, plein d’odeurs, de couleurs, de sexe, de vies cabossées. Le style de Jean-François Fournier est aussi luxuriant que la forêt amazonienne. Je vous recommande la scène de l’avortement (page 54) ; les ébats sexuels entre un écrivain mélancolique et une ex-danseuse fascinée par l’art, prénommée Dominique (pages118/119) ; les descriptions de Kristyna (page 51) et d’Edonya (page 120). Ça respire la santé tout ça. Bien sûr, on fume un double corona Churchill, on boit, que du bon – le meilleur cognac du monde – on roule en Mustang Shelby, on écoute de l’opéra, on s’émeut devant la Pietà de Michel-Ange, devant celle du Greco, ou celle de Van Dyck, « synthèse du ciel, de la terre et du travail des hommes », on pleure avec Schubert, Piano Sonata No. 20 in A Major, D. 959. « Il n’y aura jamais rien de mieux », dit Dominique à son écrivain dépressif, alors qu’il vient de l’entraîner dans les toilettes de la salle de concert. La mélancolie s’invite à la table de jeu – de je – quand on lit : « L’odeur de son corps me manque, elle m’a laissé seul et je lui en veux. »
A lire aussi, du même auteur: Le crépuscule des profs
L’une des phrases essentielles du roman : « Le sexe et l’impensable, voilà les aiguillons de tout bon peintre de la non-culture ». De l’art en général, pourrait-on ajouter, et de la littérature en particulier. À propos de cette dernière, menacée de disparition désormais, on tombe sur ce dialogue :
« – Qu’y a-t-il de plus important que l’écriture ?
– La lecture, mon cher. Parce qu’elle nous y prépare et qu’elle bâtit la totalité de notre culture solide. »
On comprend la dégringolade du niveau scolaire aujourd’hui.
Europe buissonnière
On visite les grandes villes de l’Europe qu’on veut buissonnière et extravagante : Barcelone, Vienne, Prague, Zurich, Milan, en passant par Marseille et Genève. Paris, également, avec ses hôtels pour écrivains en quête de solitude alcoolisée. Cette déambulation permet des rencontres insolites, comme celle de ce type de 180 kilos, « avec des plis partout et quelques poils de barbe adolescents », qui affine ses fromages dans sa chambre d’hôtel. On croise Ginsberg, l’écrivain scandaleux, membre fondateur de la beat generation. Il est question de Sergio Leone, ce « mec qui connaît par cœur tout Kurosawa (Pour une poignée de dollars est un remake du maitre de Tokyo), García Márquez et Céline », et qui donc mérite d’être célébré à sa juste démesure. On ne s’ennuie jamais à côtoyer tous ces personnages, réels ou fictifs, qui, à l’instar de Faust et Don Juan, sont dans le refus de la faute.
L’épilogue surprend. On est davantage dans le conte de Noël que dans le roman. C’est la période, me direz-vous. En tous cas, c’est une émouvante surprise qu’apprécierait Brigitte Bardot.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !