L’automne ouvre l’appétit. On se réveille le matin avec des envies de girolles, de cèpes, d’omelettes baveuses. L’homme des villes rêve la nuit de sous-bois, de longues marches et de casse-croûte gargantuesques. A l’automne, le régime tomate/mozza vole en éclats. On veut des sauces, du gras, du chaud, du mijoté, du confit, une cuisine qui crépite, des plats qui chantent. Novembre donne le départ de ces agapes, sonne l’hallali du gibier. En Sologne, la chasse bat son plein. En Loire, les poissons carnassiers, brochets en tête, viennent troubler la quiétude des pêcheurs. Partout en France, c’est le mois des salons, des semaines gourmandes, les produits tripiers sont à la fête et le chocolat coule à flot. Les abats dansent une étrange sarabande. Le cacao, pauvre diable, fait le beau en se prenant pour Julio. Noël est trop loin et on a déjà faim !
La meilleure façon de bien manger passe par la lecture des grands classiques. Les souvenirs culinaires d’Auguste Escoffier (1846-1935) paraissent en poche dans la collection Le temps retrouvé au Mercure de France (4,90 €) avec une succulente préface de Pascal Ory. Cet ouvrage burlesque et attachant raconte la vie et l’œuvre de celui qui fut considéré comme « l’ambassadeur de l’excellence culinaire française ». On a droit à tout, l’enfance, les débuts dans le métier, la Guerre de 1870, la captivité, les hôtels de luxe, les hôtes de marque et les recettes entrées depuis au Panthéon alimentaire. Ces souvenirs tiennent autant du journal intime, anecdotes de guerre, succès professionnels et rencontres exceptionnelles (Sarah Bernhardt, Gustave Doré, le Prince de Galles, Gambetta, l’Impératrice Eugénie, Zola, le Maharadja de Baroda, etc…) que du bréviaire. Son combat pour l’extinction du paupérisme a des accents de programme politique. Escoffier n’est pas un « simple » cuisinier qui se contente d’éplucher et de cuire, il a des idées sur l’organisation de son métier : de l’agencement des plats jusqu’aux pensions de retraite des restaurateurs. Légaliste, paternaliste, charitable, cocardier, ce personnage hors-norme a inventé une nouvelle cuisine et des desserts de légende comme la Pêche Melba en l’honneur de la diva Nellie Melba.
Escoffier a surtout accompagné le développement des palaces (Ritz, Savoy, Carlton) en s’adaptant aux goûts de cette riche clientèle. Ces voyageurs de luxe, hommes pressés de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, ne pouvaient plus passer des heures à table. Le gamin de Villeneuve-Loubet jadis fasciné par la préparation des ragoûts de sa grand-mère a réduit la longueur des cartes, proposé des menus à prix fixes, bouleversé la hiérarchie des vins (désormais du plus léger au plus capiteux), imposé une hygiène stricte et des règles quasi-militaires. De Monte-Carlo à New-York, ce général de brigade, ex-chef de cuisine de Mac-Mahon, a fait briller les étoiles de la gastronomie française. On ne peut rester insensible à sa défense de l’ail et à son plaidoyer pour l’art des rôtisseurs. « Les menus doivent être le reflet des circonstances, une sorte de poème rappelant des heures agréables » écrivait-il. Lisez plutôt ce « poème » servi à l’empereur Guillaume II en 1906 :
Hors-d’œuvre Suédois
Potages
Consommé en gelée
Suprèmes de sole au vin du Rhin
Selle de Mouton de pré-salé aux laitues à la grecque
Petits pois à la Bourgeoise
Poularde au paprika rose gelée en Champagne
Cailles aux raisins
Cœurs de romaine aux œufs
Asperges sauce Mousseline
Écrevisses à la Moscovite
Soufflé surprise
Friandises
Fruits
Pêches, fraises, nectarines
Raisins muscats
Café mode orientale
Souvenirs culinaires d’Auguste Escoffier – Edition présentée et annotée par Pascal Ory – Mercure de France
*Photo : Don Pedro de Carrion de los Condes !
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