Accueil Culture Un été avec… Pierre Mondy

Un été avec… Pierre Mondy


Un été avec… Pierre Mondy
Audrey Tautou et Pierre Mondy sur le tournage de la série de TF1 "Les Cordier, juge et flic", 1996 © PIMENTEL/TF1/SIPA

« T’es franchouillard jusqu’au bout du béret, mon pauvre vieux »


Il nageait bien, le chef. S’il fallait définir les caractères du Français moyen, le patriotisme bancal, l’autoritarisme de façade, l’étonnement souverain, toutes les petites compromissions du quotidien, les vicissitudes du sous-chef de bureau, une certaine langueur provinciale et les emballements amoureux sans lendemain, alors Pierre Mondy (1925-2012) incarnait sublimement ce héros caricaturé à gros traits chez Lamoureux ou Molinaro. L’acteur était un nageur de combat, prêtant son immense talent aux invisibles et aux oubliés de la République, commerçant ou artisan en indélicatesse fiscale, cadre anonyme et fonctionnaire servile, moine défroqué ou ministre fantoche.

Seigneur discret des planches

Prodigieux d’aisance au théâtre, aussi fluide à la télé qu’au cinéma, sans forcer, sans appuyer, sans michetonner, sans se reposer sur quelques ficelles usées du métier pour durer, persuasif sans être démonstratif, avec en prime, la fidélité du public et la reconnaissance de ses pairs. Il fut pourtant snobé par une partie de la critique qui ne comprenait rien au ressort dramatique de la comédie populaire, totalement hermétique à la poésie fracassée des godelureaux, n’acceptant en son sein que les roublards prétentieux et les déclaratifs époumonés. En résumé, les truqueurs assistés auront toujours les faveurs des bigots encartés.

A relire: Un été avec… Charles Denner

Mondy était ce seigneur discret des planches et des studios, remarquable compagnon de jeu, metteur en scène inspiré entretenant des rapports sains dans une profession anormalement exposée. À l’aise dans tous les registres, en empereur ou en hôtelier de fortune, en résistant surpris par son audace ou en commissaire marié à une tempétueuse italienne, tous les rôles se coulaient naturellement dans son jeu ample et doux. Cette aisance-là, comme un costume qui tombe parfaitement aux épaules et n’appelle aucune retouche, est une chose précieuse. On devrait la vénérer. Elle paraissait tellement facile que l’on n’y prêtait guère attention avec les années. Chez Mondy, l’exceptionnel était la normalité. On enfilait nos pantoufles et on se laissait porter par une forme de gourmandise. Nous nous abandonnions à lui. Sa présence illuminait un nanar ou une série du milieu de la semaine. Il était crédible en mari jaloux ou en patron arnaqué. Il réussissait à nous faire rire, sa vocation première, tout en ne ridiculisant jamais ses personnages. Cette élégance-là dans la lignée de Jean Poiret nous manque.

Pas un farceur

Il avait la facétie intelligente, spirituelle même. Il ne tombait pas dans les travers des acteurs comiques qui surjouent la farce, Mondy laissait filtrer un filet d’émotion qui donnait à chacune de ses interprétations, une sincérité rare, quelque chose de légèrement ébréché, en somme une profondeur humaine insoupçonnée en pleine gaudriole. Il révélait chez tous ces inconnus de fiction, une grandeur d’âme qui n’était pas flagrante, à première vue. Il y avait un plaisir, une sorte de jubilation, à le voir s’enferrer dans les galères, à tenter maladroitement de sortir la tête de l’eau, à courir après un billet ou derrière l’amour impossible d’une professionnelle. Après sa disparition, nous avons plus encore remarqué son éclat. Nous nous étions habitués à vivre sous sa coupe débonnaire. Loin du ricanement moqueur et de l’amertume macérée des gens du spectacle, Mondy possédait cette bonté qui, contrairement à ce que pensent les besogneux, n’est pas un aveu de faiblesse. Quand un acteur maîtrise son art à ce point-là, il n’a pas besoin d’en faire des tonnes, ni de donner des leçons au JT.

A relire, du même auteur: Sempé, dessine-moi encore la France !

Nous l’aimions car il prêtait sa peau à tous ces Français « moyens » qui aspiraient seulement à vivre plus librement, à se dégager d’une routine asphyxiante. Mais toutes ces tentatives d’évasion n’étaient qu’un leurre. La réalité les rattrapait à un moment de leur existence. Mondy était cet homme en proie au doute qui aspire au changement et ne s’y soumet pas, non pas par manque de volonté, par clairvoyance plutôt. Il était pourtant bien difficile de résister à l’appel de Mireille Darc, Claudia Cardinale, Clio Goldsmith, Delia Boccardo, Marie-Christine Barrault ou Anne Jolivet.




Article précédent Bruno Reidal, terrifiant petit branleur cantalien
Article suivant «Le guide indispensable de l’univers de J.R.R. Tolkien!» — mais oui!
Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération